Pedro Winter et François Prost sortent un livre de photos sur les discothèques.
Pedro Winter (fondateur du label Ed Banger, DJ sous le nom de Busy P, et ancien manager historique des Daft Punk) et le photographe François Prost sont venus rendre visite au Nova Club à l’occasion de la sortie de leur livre After Party, aux éditions Headbangers Publishing. L’idée ? Photographier les clubs, mais de jour.
Ed Banger, 15 ans et 6 mois ?
Pedro Winter : C’est ça. On est déjà en train de préparer les 16 ans si tu veux tout savoir. Depuis la première sortie de Mr Flash, Radar, en maxi.
Et depuis quand tu fais des livres ?
Pedro Winter : Headbangers Publishing est une société d’édition musicale que j’ai monté en 2005, pour ceux qui s’intéressent au music business. C’est tout ce qui concerne les partitions et les droits d’auteurs, puisqu’on s’est rendu compte que c’est exactement le même statut que l’édition de livres et de BD. En 2013, pour les 10 ans du label on avait sorti Travail, Famille, Party, le premier livre de So Me notre directeur artistique. C’était un livre de photos qui retraçait dix ans d’Ed Banger Records. J’ai rencontré des graphistes parisiens, notamment Jean André, on a fait une trilogie ensemble. On a fait des fanzines avec DVNO et David Luraschi, bref plein de choses. J’ai aussi fait un livre pour enfants avec un tatoueur hollandais, et un autre, sublime, Plastic Dreams du photographe Olivier Degorce dont on était venus parler ici sur votre antenne. Et j’ai eu la chance de croiser un jour François Prost – ici présent – qui est venu un jour frapper au bureau pour me parler de son projet qui m’a évidemment tout de suite excité, et c’est pour ça que j’ai décidé d’éditer After Party sur Headbangers Publishing.
Bonsoir François Prost ! After Party c’est donc une virée à travers la France, et pas que la France, il y a aussi la Belgique, l’Espagne, c’est ça ? L’idée c’est donc de photographier les devantures ou immeubles de discothèques « en périphérie », presque les discothèques des ronds-points ?
François Prost : Oui, mais principalement la France, il y en a seulement trois ou quatre en Belgique et en Espagne. Beaucoup de discothèques sont effectivement dans ces zones entre la ville et la campagne, soit de la banlieue des grandes et moyennes villes soit de la campagne profonde. Après les discothèques, historiquement, se sont fait refourguer en banlieue pour ne pas déranger le voisinage.
« On a voulu sortir de notre zone de confort pour aller se confronter à des vrais clubs »
Pour que les gens puissent venir en voiture aussi, se garer… Il y a tout ce truc autour. D’ailleurs souvent la qualité sonore à l’intérieur est assez impressionnante, la déco de ces endroits dans lesquels t’as pas forcément envie d’aller n’est pas si dégueu, les DJ qui y jouent font leur métier et ne se la pètent pas, parfois ils mixent vachement bien, c’est assez étonnant en fait, non ?
Pedro Winter : C’est le luxe de l’espace qui permet ça. Ça fait partie du travail de François Prost, qui n’a pas shooté les clubs à Paris, là où ils se retrouvent entre deux buildings, où ça limite la capacité à installer un soundsystem et d’avoir des lights de zinzin. David on a ce point commun de cette club culture qui nous a fait rêver, les clubs new-yorkais, Sound Factory, Paradise Garage et cie… Là on a voulu sortir de notre zone de confort pour aller se confronter à des vrais clubs. Le regard de François était neutre, et moi j’ai tout de suite été ému, je trouve qu’il y a beaucoup de poésie dans ces lieux de fête et de vie. Je trouve ça bien qu’on enlève un peu nos yeux de juges, sans cynisme.
Tu ne photographies donc pas l’intérieur des clubs, tu ne les photographies pas de nuit mais de jour, quand il y a une espèce de non-vie dans un endroit qui peut être très excité. D’ailleurs la première fois que tu as vu un club comme ça c’était lors d’une fin de soirée ?
François Prost : Pas exactement, je n’en sortais pas mais je me suis retrouvé sur un parking de discothèque par hasard. J’étais parti quelques jours faire un petit voyage à vélo en Bourgogne et j’ai pris cet endroit en photo. Il m’avait touché car il était décontextualisé. Voir l’envers du décor de cet endroit en pleine journée, je trouvais ça intéressant. Ça s’appelait l’Attitude Club, pas très loin de Corbigny en Bourgogne.
Et à partir de quand tu as commencé à faire ça de manière routinière ?
François Prost : J’ai pris cet endroit en photo en 2011 et en retombant dessus quelques mois plus tard je me suis dit que c’était un sujet qui pouvait faire l’objet d’un documentaire.
Tu as remarqué des occurrences de noms ?
François Prost : Il y a plusieurs catégories de noms, soit les références aux lieux mythiques, des Studio 54, l’Amnesia, le Pacha, des lieux qui ont fait l’histoire des night-clubs. Ensuite il y a beaucoup de noms de lieux qui font référence à l’hédonisme, le Dream par exemple, ou des références à la culture gréco-romaine.
On sent presque l’American Dream !
François Prost : Oui car ces lieux viennent quand même beaucoup de la culture américaine, du centre commercial, du driving, du mall… Toutes ces zones ont pris une place très importante dans le paysage français, on commence à s’en rendre compte. Historiquement, l’image de la France un peu cliché c’est le petit village avec la mairie, l’église etc. Et en fait ces zones-là prennent beaucoup d’espace sur les territoires.
Tu as demandé l’autorisation à tous ces clubs ?
François Prost : Non. J’ai commencé en demandant, mais en fait c’était trop compliqué.
Tu les a revus de nuit ?
François Prost : Il y a quand même pas loin de 250 photos. J’en ai revues certaines de nuit, j’était déjà allé dans d’autres quand j’étais plus jeune, notamment le Titan près de Lyon. Tu vois ça renvoie cette image gréco-romaine, de puissance.
Les Macumba ? L’image mythique de la discothèque française
Et les Macumba ?
François Prost : J’en ai croisé deux. Il y en avait davantage mais certains ont fermé. Il y a beaucoup de turnover globalement pour les discothèques. Sauf pour les Macumba ceci dit, car c’est une chaîne ! Il y a un encore en activité en banlieue de Lille, un autre vers Bordeaux qui a fermé, un en Savoie qui a fermé aussi… En tout cas c’est l’image mythique de la discothèque française.
Il y a les références du Sud, le Macumba, mais aussi l’Italie, les références américaines, les références historiques, il y a un combo entre tout ça !
Pedro Winter : Oui car il a lu les façades. Il n’y a pas de texte dans ce livre, hormis l’introduction de l’architecte qui l’a préfacé, mais c’est un travail photographique qui t’imprègne. L’architecture en dit tellement.
François Prost : En effet tu peux dire beaucoup de choses sur toutes les références architecturales, ça parle même de l’histoire de l’architecture. Les photos parlent d’elles-mêmes.
Tout est relativement récent, depuis les années 70. C’est vraiment l’explosion du disco qui a amené toutes ces discothèques ?
François Prost : Je dirais que oui. Après il y a sûrement des bâtiments qui ont été recyclés, par exemple dans les endroits plus reculés il y a des corps de ferme.
Pedro Winter : Dans le livre, page 213, « L’Addiction » à Angoisse – la ville – c’est mon préféré.
Visuels © François Prost