Arié Alimi est avocat au barreau de Paris et membre du bureau national de la Ligue des Droits de l’Homme. On est allé l’interroger sur la loi anti-casseurs à l’étude par le gouvernement.
À l’Assemblée nationale cette semaine, on discute de la loi anti-casseurs. Un texte sécuritaire porté à l’origine par un sénateur Les Républicains, voté au Sénat en octobre… Et repris depuis par le gouvernement.
La surprise, c’est que les députés de la majorité ont profondément modifié le texte, faisant disparaître certaines dispositions polémiques, comme l’instauration d’un périmètre de sécurité (sorte de fan zone pour manifestants, dans laquelle les policiers auraient pu fouiller tout le monde).
Dans le Today’s Special, ça valait bien un coup de fil d’Armel Hemme à Arié Alimi, avocat au barreau de Paris, et membre du bureau national de la Ligue des Droits de l’Homme.
Un texte ultra-liberticide et dramatique
Les députés LREM ont donc modifié ce texte, au départ très répressif, voulu par le Gouvernement. Un texte sur lequel vous aviez alerté la Ligue des Droits de l’Homme, est-ce que vous alertez toujours aujourd’hui ?
Arié Alimi : Plus que jamais. Ça n’est pas simplement l’une ou l’autre des dispositions qui est en cause dans ce texte, c’est un texte qui n’est pas qu’un texte de contexte parce qu’il va s’appliquer à l’avenir à toute organisation de manifestation. Et il transforme de manière importante, voire radicale, l’équilibre constitutionnel de ce droit fondamental qu’est le droit de manifester. Pourquoi ? Parce qu’il le restreint en conférant au Gouvernement la possibilité d’interdire à toute personne qui rentre dans ces critères, de manifester. Qui sont les personnes qui peuvent être interdites de manifester ? Les personnes qui, selon le Gouvernement, causeraient un grave trouble à l’ordre public ou bien connaîtraient des groupes de personnes qui pourraient causer de graves troubles à l’ordre public dans le cadre des manifestations. Autant dire n’importe qui, tout le monde. Le gouvernement s’octroie aujourd’hui la possibilité de décider lui-même de qui pourra être dans une manifestation. C’est en ce sens que ce texte est ultra-liberticide et dramatique. Il ne faut pas qu’il soit adopté. Et s’il est adopté nous saisirons soit le Conseil Constitutionnel par l’intermédiaire de députés ou de juridictions dans le cadres de questions prioritaires de constitutionnalité.
L’Assemblée Nationale a validé hier soir l’interdiction administrative de manifester. Pensez-vous que c’est vraiment un risque que le Préfet dresse une liste de gens interdits de manifester ?
Arié Alimi : Il l’a déjà fait par le passé et n’a pas eu de problème à le faire, notamment lors de l’état d’urgence. On a vu des manifestants écolo assignés à résidence et interdits de manifester.
À l’origine le texte prévoyait la création d’un nouveau fichier de personnes interdites de manifestation qui finalement sera intégré à un fichier existant. Là encore c’est un problème pour la Ligue des Droits de l’Homme ? Ce fichier existe déjà…
Arié Alimi : Oui c’est un fichier qui existe déjà. Ils ont parlé de créer un nouveau fichier, puis ont dit l’intégrer dans le FPR. C’est juste de la communication. Le FPR c’est le Fichier des Personnes Recherchées, qui contient 9 catégories. Ils vont en rajouter une dixième, donc créer un réel fichier. Dans ce FPR vous avez notamment les Fichés S, qui posent souvent problème et qui sont mal compris par les politiques ou par la population. Il y en aura donc un dixième, celui des manifestants, celui de ceux qui sont interdits de manifester ou qui ont déjà été interdits judiciairement de le faire. Finalement ça poserait moins de problèmes si ont laissait aux juges judiciaires la capacité de décider, mais là c’est le gouvernement lui-même, c’est à dire l’adversaire de ces opposants politiques qui va les ficher.
Les brutes ce sont ceux qui veulent restreindre un droit fondamental qui est au fondement même de notre République
Le ministre de l’Intérieur ne partage évidemment par vos inquiétudes, pour Christophe Castaner cette loi est un moyen de protéger les manifestants eux-mêmes et les commerces. Mardi, lors des débats à l’Assemblée nationale le ministre a affirmé vouloir « stopper les brutes qui n’écoutent que leur soif de chaos ».
Arié Alimi : La réalité c’est que ce ne sont pas eux les brutes. Les brutes ce sont ceux qui veulent restreindre un droit fondamental qui est au fondement même de notre République. C’est un droit constitutionnel. Ce ne sont pas des brutes qui sont visées, c’est le peuple français. Finalement, on peut se demander si cette violence ne naît pas de l’action du maintien de l’ordre tel qu’elle est décidée par M. Castaner. Moi la question que je pose c’est « qui sont les brutes dans l’histoire à vouloir empêcher ce droit de manifester et à créer ces violences dans les manifestations ? »
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