C’est une des histoires racontées par Brice Miclet dans son livre « Sample ! Aux origines du son hip-hop ».
Le journaliste Brice Miclet publiait le 18 janvier son livre Sample! Aux origines du son hip-hop aux éditions Le mot et le reste. Il y compile cent histoires qui nous offrent une nouvelle lecture de morceaux légendaires. En voici l’une d’entre elle, celle du morceau « It’s The Hard Knock Life » de Jay-Z.
1998. Jay-Z travaille sur son troisième album, celui qui doit lui faire prendre une autre envergure. Reasonable Doubt (1996) et In My Lifetime, vol.1 (1997) ont été de beaux succès, mais il manque le hit. Une partie de l’enregistrement est terminée et le rappeur se produit dans une soirée new-yorkaise. C’est le producteur et deejay Kid Capri qui s’occupe de la musique durant les interplateaux. Lors de ses deux premiers passages, il envoie une instru basée sur un sample de la chanson « It’s The Hard-Knock Life ». Jay-Z est dans sa loge, il n’entend rien. Mais lors du troisième passage de Kid Capri, il est prêt à entrer sur scène. Et quand l’instru passe pour la troisième fois, il reconnaît tout de suite la chanson d’origine.
Et pour cause. La comédie musicale Annie a fait un tabac à Broadway dès sa première représentation en 1977. Elle conte les péripéties d’Annie, petite fille vivant dans un orphelinat strict et bien déterminée à retrouver ses parents. Composée par Charles Strouse, Thomas Meehan et Martin Charnin, elle est ensuite adaptée en film dès 1982 par le réalisateur John Huston. Ce regain d’intérêt de la part des Américains fait entrer la chanson « It’s The Hard-Knock Life » dans la culture populaire, grâce à une mélodie chantée par les orphelines qui mettent le bazar dans la maison collective, dénonçant, insouciantes mais tout de même énervées, les remontrances trop sévères de la directrice Miss Hannigan.
Un air rythmé qui, combiné aux voix enfantines, fait mouche et permet à la bande originale du film de rester aussi connue que le long-métrage. Personne n’avait encore pensé à mettre un beat dessus. Jay-Z se précipite vers Kid Capri, qui l’informe que le son est en fait composé par The 45 King, et qu’il doit figurer sur son nouvel album, Soundtrack To The Street. The 45 King n’est pas un inconnu. Producteur émérite de la scène hip-hop de la fin des eighties, né Mark Howard James dans le Bronx le 16 octobre 1961, il est déjà l’auteur de « The 900 Number », sample majeur de 1988. Kid Capri appelle The 45 King pour lui faire part de l’engouement de Jay-Z, et moins d’un an plus tard, ce dernier sort Vol.2… Hard Knock Life avec « Hard Knock Life (Ghetto Anthem) » comme single, soit le plus gros succès de sa carrière et pour longtemps.
The 45 King raconte : « J’étais à La Salvation Army (l’équivalent de l’Armée du Salut) et ils avaient des disques pour tester le matériel sono. Je me mets à fouiller dans le tas, et je vois Annie. […] Je le ramène, je cherchais les cuivres qui faisaient la mélodie, mais je n’ai pas réussi à les isoler. Par contre, j’ai trouvé les gamins qui chantent « It’s the hard knock life for us… ». Quelques jours plus tard, je mets une piste de drums dessus. À cette époque, je vivais dans un immeuble où je pouvais mettre ma musique fort. Je pousse vraiment le son, il monte, il descend… “Pom, pompom…” Je trouve ça pas mal. Mais je n’aurais jamais pensé le vendre à qui que ce soit. » Le single de Jay-Z sera disque d’or dans l’année 1999, puis single de platine en 2015. En 2000, The 45 King composera un autre hit, pour Eminem cette fois : « Stan ». Il disparaît des radars hip-hop peu de temps après, se contentant de productions bien plus confidentielles.
Brice Miclet, Sample ! Aux origines du hip-hop, 2018, Le Mot et le Reste, 248 pages. On peut commander le bouquin ici.
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