Un livre-somme du chroniqueur de l’underground Jean Rouzaud
« Contre-culture », rien que ça. Le titre est ambitieux. Toute la contre-culture ? Non. Celle que connait Jean Rouzaud, et c’est déjà pas mal. Le CV du bonhomme parle de lui-même : Actuel, Bazooka, Libé, Canal+, L’Echo des savanes, Métal Hurlant, Nova… et j’en passe. Dessinateur, auteur, réalisateur, chroniqueur de l’underground devant l’éternel, Jean Rouzaud est ce que l’on appelle un monument. C’est aussi notre voisin de bureau. Lecteurs et auditeurs de Nova, vous connaissez sa plume énervée, sa verve sans concession, ses choix sans compromis. Traversant les années, Jean Rouzaud a croqué la seule culture qui compte à ses yeux : l’underground. Que dire sur Jean Rouzaud, l’homme qui emmerde tout le monde ? « Dis leur que tu me subis », me répond-il.
Le livre Contre-culture vient de paraître aux éditions Nova. Il compile plus de 200 chroniques issues de Radio Nova (et nova.fr, ainsi que feu novaplanet.com…) de Jorge Amado à Frank Zappa, en passant Guy Debord,
les « Musiques planantes » ou le « Narcissime contemporain ». Art, littérature, cinéma, pensée, musique… Pas vraiment un livre, de l’aveu même de son auteur, mais une liste colossale de noms, de concepts, de références… Ne cherchez pas l’exhaustivité, ne cherchez pas l’encyclopédie. Cherchez le regard : le regard de celui qui nous livre son héritage. Son Paris alternatif, son New York déglingué. Un héritage rare et précieux, parce qu’il ne s’encombre pas du superflu.
Pour lui, seul l’underground compte. Il n’y a de culture que dans la contre-culture. Seule la rue est propice à la création. Une fois dans un bureau ou dans une galerie, le créateur s’endort dans le confort. Le hippie s’embourgeoise, le punk se ramollit, le rebelle se languit, l’artiste moisit. « Le seul moyen de créer, c’est d’être fauché », martèle Rouzaud.
Le livre s’ouvre sur une photo d’enfant de cœur, Jean Rouzaud lui-même. Un enfant qui derrière son sourire d’ange peine à cacher le doigt d’honneur qu’il adresse au monde entier. Souvent appuyé sur la critique d’un livre, d’une exposition ou d’un film (cités en fin d’article), Jean Rouzaud dézingue et dissèque la culture telle qu’il l’a vécue : comme un punk. Il déterre les « mensonges » de l’underground, pointe les faux rebelles, fustige les punks d’opérette. Burroughs ? un facho ! Duchamp ? un branleur ! Dylan ? un voleur ! Voyez plutôt : « Sont dénoncés comme ils le méritent tous les faiseurs, de Marcel Duchamp et ses pissotières à Wim Delvoye et sa machine à excréments. La liste est longue de ces célébrités affligeantes enfin réduites à leur narcissisme malhonnête ».
Jean Rouzaud s’attaque aux icônes et pointe le détail qui nous montre que n’est pas punk celui que l’on croit. Que la contre-culture n’est pas toujours là où on le pense. Car chaque nom de cette somme fait bien partie de notre inconscient, est bien rentré dans notre culture commune. Nous subissons des icônes que l’on connait mal, et que Rouzaud veut déshabiller. On glorifie les surréalistes qui n’ont fait que copier les seuls vrais génies : les dadaïstes. Les situationnistes sont géniaux ? Non, ils n’ont fait que pomper les seuls vrais rebelles : les lettristes. Récupération, arnaque. Ils y passent tous.
Jean Rouzaud conclue ainsi l’article sur Georges Bataille : « Lire Bataille, c’est se pencher au-dessus du vide et fixer l’infini de l’homme, jusque dans ses excréments ». Lire Rouzaud, c’est un peu se pencher au-dessus des excréments de l’homme, jusque dans ses plus grands coups de maître. Et si vous n’êtes pas d’accord, c’est pareil. Il vous emmerde.