La chronique de Jean Rouzaud.
Mon prof de philo de terminale nous avait prédit un jour que « plus on était cultivé, plus on avait de chance de souffrir…» !!!
Il entendait par là que toutes les cultures, images, textes, constructions, œuvres qui disparaissaient, ou étaient détruites avec le temps, toutes ces pertes et oublis, désespéraient les amateurs, les connaisseurs qui seuls, connaissaient ces choses en péril ou en perdition.
Les Flamin’ Groovies sont un groupe californien (!) ambitieux, plein de références et de citations qui ne furent pas comprises. Le groupe est fondé en 1965 par Ron Greco, Cyril Jordan, Roy Loney, George Alexander, Tim Lynch, puis Chris Wilson…
Rockabilly fin, British Rock nerveux
L’avant-garde ne profite qu’aux suiveurs, c’est ce que je prétends, et tous les artistes qui se sont épuisés à ouvrir des portes, n’en ont généralement pas ou peu profité car, dans leur brèche, se sont engouffrés l’habituelle cohorte de profiteurs et escrocs qui tuent la poule aux œufs d’or !
Les Groovies, après un échauffement plein de promesses à la fin des sixties, sont apparus au public international début seventies. Dans leurs valises, il y avait deux amours : du Rockabilly pur et dur (fin Fifties), mais aussi et surtout du « British Rock » nerveux, speedé, avec les Beatles en Dieux, et une série de saints, allant des Stones aux Who, en passant par Troggs, Kinks, etc. La cavalerie de l’invasion anglaise.
Seulement voilà, en 1972, les choses avaient avancé avec le psychédélisme, le Rock progressif et symphonique, le Glam décadent, sans parler de l’inexorable montée du Hard.
Bien sûr leur Rock Garage, avec les « Power chords », ces accords plaqués, incisifs et tranchants, ce power Rock, énergique, rythmé, était dans le vrai du grand style déjà ébauché aux US par les Seeds, Byrds, et surtout Stooges….
Mais les choses allaient vite et le public ne comprenait pas toutes ces nuances et influences ! La virtuosité des Flamin’ Groovies (les frimeurs flamboyants), était un peu trop, même pour les maisons de disques.
Vers 1976, avec Jean-François Bizot à La Villette, devant un public déjà clairsemé, nous assistâmes à un concert parfait des Groovies, uniquement composé de reprises des Beatles, avec un son et une précision de métronome !
Au sein même du groupe, les deux tendances s’opposaient : Rockabilly ou Pop Rock à l’anglaise ? La force de l’Americana, Rock de base (Chuck Berry, Little Richards, Buddy Holly, Bo Diddley… les parrains) ou bien les fioritures énervées et mélodiques britanniques.
En France, Marc Zermati et ses labels Skydog et Underdog va faire briller leur nom, avec son lieu, l’« Open Market », entouré de connaisseurs : Alain Pacadis, Yves Adrien, Patrick Eudeline, mais aussi Chrissie Hynde, Johnny Thunders, et tous les fous de ce rock classe et efficace.
Les Groovies eurent donc leur heure de gloire avec le Pub Rock (Doctor Feelgood, Ducks Deluxe, Wilko Johnson, Eddie and the Hot Rods…) Et même les Punks, réveillés par les New York Dolls et autres Peter Gordon, Mink Deville, Elvis Costello…
Tout un retour au Rock pur, basique, mais habile, aux textes mêlant adolescence et trash, nostalgie et critique, un courant à part, pour connaisseurs, qui était aidé par le Punk et le Rock urbain, électrique et nerveux, doté d’une réelle poésie juvénile, avec les traces d’un situationnisme « DIY » (Do It Yourself) fonceur.
Mais la finesse n’est pas la force, et la classe n’est pas l’endurance.
Les Flamin’ Groovies ont subi toutes les calamités du genre : fâcheries, trahisons, incompréhensions, séparations, recompositions et évidemment la dope qui s’installe, l’argent qui baisse, la lassitude qui monte et le public qui lâche…
Insaisissable, radical, marginal
Les tournées deviennent des galères et malgré une série de morceaux excellents, devenus classiques (« Slow Death », « Teenage Head », « Shake Some Action »…) et de nombreuses « covers », reprises flamboyantes de grands classiques, ( Louie Louie, She Said Yeah, Little Queenie…), ce groupe unique et caméléon devient trop insaisissable et radical pour publics et labels. Les musiciens essaient diverses formations et pas mal d’autres membres et managers…
Les Flamin’ Groovies laissent le souvenir amer de l’un de ces groupes qui aurait pu aller plus loin et plus haut… Leur style provocateur sur une base d’innocence têtue, reste un repère et une référence, et beaucoup de Rockers des années 90 et 2000 les ont dans leur panthéon.
Groovin’ – Une histoire des Flamin’ Groovies par Didier Delinotte & Jacques Vincent. Éditions Camion Blanc. 120 pages. 30 euros (avec discographie complète et historique de chaque album).
Visuel en Une © pochette de Teenage Head de The Flamin’ Groovies