L’histoire du morceau reggae le plus samplé de tous les temps.
Chaque semaine, le Néo Géo de Bintou Simporé vous propose de réécouter ou de découvrir une chanson emblématique de l’histoire des musiques actuelles : c’est le Classico de Néo Géo. Cette semaine : « Bam Bam » de Sister Nancy, présenté par le DJ et chroniqueur Judah Roger, au moment où la Jamaïque pose sa candidature pour inscrire le reggae au patrimoine immatériel de l’Unesco.
La magie d’une chanson, outre la joie qu’elle procure à son auditeur, réside dans le fait qu’elle traverse les âges en se nourrissant de chaque époque pour rester d’actualité. Celle dont nous allons parler aujourd’hui puise son inspiration en 1966, sur l’île de la Jamaïque, pour traverser époques et continents jusqu’en 2018. En 1982, Sista Nancy sort le titre « Bam Bam », c’est alors une apprentie chanteuse, qui suit dans l’ombre les traces de son frère ainé plus connu : le susnommé Brigadier Jerry.
Elle est adepte du DJ style (rien à voir avec nos disc-jockeys, c’est plutôt les premiers balbutiements du rap, quelqu’un qui rap/toaste ou parle et qui donc ne chante pas) sur une version instrumentale. Elle s’entraîne donc en cachette, aiguisant son flow sous la douche et s’inspire pour son refrain du morceau éponyme de Toots and the Maytals, produit à l’époque par Byron Lee, accompagné des Dragonaires son groupe attitré.
« Bam Bam », hymne féministe
« Bam Bam » ou « What a bam bam », c’est une expression idiomatique du patois jamaïcain qui met en garde l’auditeur quant aux problèmes qu’il pourrait récolter s’il cherche des poux à qui que soit. En l’occurrence ici, la jeune Nancy. Laissons les poux et revenons à nos moutons et à l’année 82, le refrain est agrémenté de paroles auto-promotionnelles vantant les mérites de la meilleure femme DJ (elle est précurseuse de ce mouvement). Le titre devient surtout un hymne de la condition féminine sur l’île.
La Jamaïque, petite île de la Caraïbe, bien que société matriarcale, est quand même bien pourvue niveau machos au mètre carré, sans doute un reste de l’époque flibustière où elle servait de repère à nombre de pirates Et la piraterie, Sista Nancy en aura souffert toute sa vie, car malgré le succès de la chanson, c’ est son producteur Winston Riley qui rafle la mise. La faute sans doute à l ‘imbroglio du music business jamaïcain souvent lié à des mafias politiques, ce qui n’empêche pas Nancy de faire carrière et de partir vivre aux États-Unis.
En Amérique, c’est bien connu, tout est plus grand. C’est donc sans vergogne que son morceau « Bam Bam » sera allègrement samplé par pléthore de producteurs hip-hop (Pete Rock pour n’en citer qu’un). Bien évidemment sans son consentement.
Le morceau reggae le plus samplé de tous les temps ?
Le Billboard le qualifie d’ailleurs de prétendant sérieux au titre de morceau reggae le plus samplé de tous les temps, bien que labellisé par la BBC « hymne reggae mondial », un peu le patrimoine de l’Unesco in fine.
Nul n’est prophète en son pays, et pour Nancy, migrer sous la bannière étoilée n’a pas pour autant fait apparaître sa bonne étoile. Il faudra attendre 2014 pour que sa fille intente une action en justice et pointe du doigt l’utilisation de « Bam Bam » dans une pub Reebok pour qu’on lui reconnaisse certains droits (exactement 50% sur la propriété intellectuelle) et dix ans d’arriérés de royalties. Bien peu au final pour une oeuvre pillée pendant plus de trente ans, visiblement il est très difficile au pays de l’oncle Sam à l’instar de la Jamaïque, quand on est une femme de faire valoir une quelconque parité.
2018. Après quarante ans de carrière, Nancy peut enfin vivre de sa musique et parcourir le monde micro en main pour délivrer sa verve intacte. L’été dernier le morceau est re-samplé pour la énième fois par Jay Z , ce ponte du hip-hop moderne s’associe pour ce faire à Damian Marley un des fils du plus fameux ambassadeurs des Indes de l’ouest, de manière tout a fait légale cette fois-ci : la boucle (c’est la traduction française du sample) est donc bouclée, ça ne s’invente pas !
Il résonne même actuellement dans tous les clubs d’Afrique grâce à l’artiste afrobeat Timaya et sa version inspirée et non samplée « Bam Bam ». Pour Nancy son titre le plus connu aura été celui qui lui a coûté très cher : « what a bam bam » !!!
Une chronique issu du Néo Géo du dimanche 25 octobre.
Visuel : (c) pochette de disque