Le musicien du métro n’en est plus là. Son premier album, « Underground Raï Love », vient en effet de paraître, accompagné aujourd’hui du clip d’« Ana Rani ».
C’était il y a une dizaine d’années, dans la ligne 2 du métro parisien, entre les stations Belleville et Barbès-Rochechouart. Un garçon, dont on peinait alors à deviner l’âge (il est aujourd’hui âgé de 37 ans), s’avançait dans la rame, le regard vague, la démarche mal assurée, les yeux empreints d’un spleen troublant. Pas un mot en direction de l’auditoire de fortune que représente les usagers du métro parisien, mais un chant, mystique et profond, entonné sans interruption, et sans quasiment un regard à qui que ce soit. Le chant évoque le raï, minimal et honnête, d’un individu à part.
Chanter les autres, se chanter soi
On fut profondément troublé par la grâce de ce personnage sorti de nulle part, et on ne fut pas les seuls. Mohamed Lamouri, les usagers qui utilisent depuis une décennie la ligne 2 du métro (et avant cela, ceux de la ligne 6, la 8, la 4), le connaissent bien. Il y circule en effet souvent, seul avec un synthé mal-en-point, alternant ses reprises de Michael Jackson (sa version de « Bilie Jean » en a marqué plus d’un), de Cheb Hasni (le chanteur algérien mort en martyr en 1994, dont il assure connaître tout le répertoire), de The Eagles, ou désormais ses propres compositions.
L’effet toujours, est le même, lorsque l’on croise son chemin pour la première fois, et même les 100 fois d’après : le personnage fascine, trouble, et gêne même parfois, tant il est étrange de se retrouver devant pareille interprétation, alors que l’on tente de trouver sa place au sein d’un métro bien rempli. Au milieu de la foule, vitreuse puis captivée, le garçon s’excuse quasiment d’être là, mais chante tout de même, quoi qu’il arrive.
Viscéralement associé à ce tronçon de métro, Lamouri, originaire de Tlemcen Algérie, ne se résume pourtant pas à ça. On peut en effet le voir ailleurs, à Belleville très souvent, comme au Zorba, où il a élu résidence, et où il donne très souvent des concerts. Depuis que les malins de La Souterraine l’ont découvert, comme tout le monde et ça ne s’invente pas, dans les rames aériennes et souterraines de la ligne 2, il est même parfois affublé d’un groupe, Mostla, qui accompagne et magnifie ses lamentations mystiques.
Boosté par cette rencontre, qui a contribué à cadrer la trajectoire du musicien et chanteur, Mohamed a vu son horizon se modifier quelque peu. Son titre « Tgoul Maaraft », s’est même retrouvé en playlist sur Nova. Mais qu’on le croise station La Chapelle, qu’on vienne à sa rencontre sur la scène du FGO Barbara, qu’on l’embarque avec nous en Nuit Zébrée, ou qu’on le convie, très tôt le matin, aux lives donnés pendant deux ans dans notre verrière renommée Café Nova (c’était dans Plus Près De Toi), Lamouri ne bouge pas. Il demeure le même, cloitré dans un costume ô combien naturel, avec sa dégaine de clochard céleste, sa mélancolie pleine les yeux, son synthé porté à même le bras, comme unique attirail. Parfois, celui-là s’enraye, ne fonctionne plus du tout. Pas de problème, il a l’habitude. Du scotch épais permet aux différents morceaux de tenir, encore.
Tlemcen Underground
Underground, le son de Mohamed Lamouri ? Le terme, tellement vidé désormais de son sens initial, a rarement été autant adapté. Il y a quelques jours, Mohamed Lamouri a fini par sortir son premier album, Underground Raï Love (quel beau titre), sur Almost Musique / La Souterraine. Le terme, cette fois encore, n’est pas galvaudé : c’est une très belle histoire que celle de Lamouri, comme le suggère aussi le clip du magnifique « Ana Rani », réalisé par Maia Flore, que l’on vous propose aujourd’hui. C’est qu’après le pavé, il y a parfois la plage.
Mohamed Lamouri est en concert le 9 mai à la BAM de Metz, à La Maroquinerie le 12 juin, au Musée de La Piscine à Roubaix le 25 mai. Et régulièrement sur la ligne 2, vous avez compris.
Visuel © clip d’« Ana Rani » de Mohamed Lamouri