La chronique de Jean Rouzaud.
Pendant les années 60 et 70, j’étais résistant à l’idée qu’il fallait absolument aller à New York, que c’était la ville magique, 24h sur 24, et je voyais des connaissances en revenir, plus ou moins émerveillées par la bête… Certains même n’en revenaient pas !
J’avais choisi Londres, puis ce fut l’Inde pour les mêmes raisons : des villes cultures, des mondes à part, avec des styles très marqués (Bombay, Calcutta, Bénarès, les villes fantômes…)
New York me paraissait rétro, très ricain avec ses quais, ses blocs de pierre ou de béton, la capitale du dollar, 5e avenue, même la bande de Warhol me paraissait teintée de snobisme bourgeois, branchée fric !
En quelques années (1967 – 1978), le Rock électrique et urbain, noir et cheap, puis les clubs, le Punk américain trash, quelques Latinos (Fania), quelques Funks, une fièvre Disco, pour en arriver au Rap…
New York avait pris la tête, tentant d’évincer Londres et le swinging absolu, Paris la classe avec passé « Arty », ou Berlin post guerre, post apocalypse…
Comme souvent, le marketing US avait frappé : à partir du Pop, piqué aux Anglais, du Brit Rock, encore anglais, de la « Fashion » prise à Paris, et d’un mode de vie dans la « concrete jungle », sur fond de Polar, avec une autre idée de la bohème (parisienne !) devenue trash, les Américains avaient réussi à concocter une image unique.
Le tour était joué : avenues, bourse, gratte-ciel, 5e avenue, truands, gangs (West side story), melting-pot, speakeasy, studios de cinoche et de musique… un ragoût de modernité sulfureuse, crasse et néons.
D’Harlem au Bronx, de Chelsea à Little Italy
Un livre de 300 pages, exécuté par un archiviste fou (Philippe Brossat) nous raconte chaque quartier, chaque building où il s’est passé quelque chose, sous l’angle des musiciens, des plus grands bohèmes, en suivant les évènements de cette scène dite Rock… (avec en prime les Jazzy, les Latinos et les rappeurs…)
Chaque quartier déroule sa mythologie : Harlem et le génie afro-américain, l’Upper East Side chic (Central Park) pour ceux qui ont réussi, puis Chelsea (Union Square) bouillant de freaks et de clubs, Greenwich village pour le Folk, les Hippies, enfin en bas, le Lower East Side avec ses boîtes (près de Chinatown, Little Italy) et Downtown Tribeca pour les Punks Rockers…
Et on traverse le fleuve pour Bronx, Queens, Brooklyn et ses bandes, ses légendes Rap, Block Parties, Gangs etc (+Williamsburg pour les US Bobos…)
Le génie de ce livre est la ballade avec adresses précises, détaillée et chaque fois une histoire, un groupe, un musicien et sa muse, une embrouille, un disque ou une photo, un séjour, des évènements, des échecs, des arrivées, des départs…
Hendrix, Lunch, Basquiat…
Encyclopédie historique de cette ville sans fin, ribambelles de personnages connus, mythiques, « beautiful losers » ou requins aux dents longues, studios célèbres pour des disques « collector », histoire même du Rock, que l’on voit naitre et évoluer comme un serpent, de rue en rue, d’appart en loft ou en sous-sol, de squats jusqu’aux penthouse des nantis… On est fasciné par la quantité d’énergie concentrée !
Voilà, c’est bien là, à NY City que se sont agglutinés tous les « absolute beginners » venus de tout le pays pour réussir ou se détruire.
Citer des noms est impossible (Hendrix ou Lydia Lunch, Lou Reed ou Basquiat, Kool Herc ou Blondie… ils sont TOUS là !)
Une bible sans Dieu autre que le feeling, le rythme, l’attitude, les idées, les cris et les shows de générations inspirées, de mecs et de filles excités, voulant rendre coup pour coup à la société et au reste du monde… sur cette île de Manhattan.
Mana-Hatta, un ancien cimetière indien !
Streets of New York. Histoire du Rock dans la Big Apple. Par Philippe Brossat. Éditions Le Mot et le Reste (il a mis 20 ans à réunir ces centaines d’infos !) 312 pages + illustrations en noir et blanc. 21 euros (avec index complet de tous les noms du livre, classés par page…)
Visuel en Une © Le Chelsea Hotel, issu de Streets of New York. Histoire du Rock dans la Big Apple