La guerre en Ukraine a contraint l’édition 2014 du festival electro KaZantip à s’expatrier en Géorgie. Un territoire difficile à conquérir pour son fondateur.
Il y a bel et bien une blonde, agenouillée sur le bar, qui étreint ses seins nus et me fait de l’œil depuis l’auvent. Elle a ôté son masque de Batman en cuir et sa combinaison en résilles est en lambeaux.
Des rythmes drum and bass sourdent de la discothèque voisine, alors qu’une douzaine de types dont la plupart sont géorgiens brandissent leurs téléphones pour filmer son strip-tease, improvisé dans les vapeurs de l’alcool. Les Russes et les Ukrainiens, visiblement plus habitués à ce genre de spectacle, jettent un œil distrait à la scène avant de retourner à leurs affaires. À KaZantip, la rave en bord de mer la plus célèbre d’Europe, on vit au rythme de l’electro et de la débauche. Les Géorgiens, eux, découvrent tout ceci pour la première fois.
Sashka Toykinen, propriétaire du Zapravska Bar, se présente et m’offre un premier shot, puis un autre dans la foulée. Un Géorgien grimpe à son tour sur le bar et commence à tripoter la fille, avant que d’autres ne s’approchent, toujours armés de leurs portables, et tendent leur bras libre vers la danseuse pour la toucher. En un éclair, une grande fille russe jaillit de nulle part et chasse les malappris à grand renfort d’insultes, de coups de pieds et de coups de poings.
« Tu veux tenir le bar ? » me demande Toykinen.
KaZantip, qui tire son nom d’une province située dans le nord-est de la Crimée, où s’est tenue la première édition du festival, est le fils spirituel de Nikita Marshunok, l’Ukrainien qui se balade en Segway. Il s’est auto-proclamé prezident de la République (anciennement) démocratique du KaZantip, et ramasse au passage environ 200 euros pour quiconque souhaite obtenir un visa à entrées multiples pour visiter son pays. Ce qui a commencé comme une teuf de surfeurs en 1992 s’est transformé en un événement annuel courant sur une trentaine de jours. Trente jours au cours desquels des dizaines de milliers de raveurs – pour la plupart ukrainiens ou russes –, attirés par les beats electro des meilleurs DJ du monde, se pressent au cœur d’un réacteur nucléaire abandonné sur la péninsule de Crimée.
Quand il a déménagé son « pays » vers le village de Popovka, à l’ouest de la région, en 2001, on parlait déjà du festival comme du Burning Man d’Europe de l’Est. L’année dernière, 100 000 personnes sont venues, un record. Mais quand la Russie a annexé la péninsule criméenne en mars dernier, Marshunok et KaZantip se sont retrouvés face à des démêlés politiques et légaux inattendus. Le prezident allait devoir trouver de nouvelles frontières pour sa république.
En ce qui concerne l’hospitalité, la réputation de la Géorgie n’est plus à faire dans les anciens pays de l’Union soviétique. Sans compter que le Caucase du Sud s’est fait un nom dans une région dominée par la corruption : ici, le pays a connu des réformes et on est libre d’y faire des affaires. Déplacer le KaZantip en Géorgie semblait alors être une solution logique.
La blonde a disparu depuis des heures et je m’applique pour apprendre à préparer des « Boyarsky », un cocktail à base de grenadine et d’une vodka qui porte le nom de l’acteur qui incarne D’Artagnan dans la version russe des Trois Mousquetaires. Quand on me commande des cocktails plus complexes – ceux requérant plus de deux ingrédients –, je passe la main à mes collègues, qui sont ukrainiens, russes ou biélorusses.
Impossible de savoir qu’une guerre civile ravage le sud-est de l’Ukraine et oppose pro-Ukrainiens et séparatistes pro-Russes, même si certains Ukrainiens présents ce soir-là avouent avoir soutenu les manifestations qui ont eu lieu place Maidan, à Kiev.
Mais l’une des maximes du KaZantip est que le festival est « une bonne dose de libertéet une lutte incessante contre l’idiotie globalisée ».
Retrouvez la suite du reportage au KaZantip sur Ulyces.
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