Explorons la funk urbaine et synthétique japonaise.
Il y a quelques jours, le terme de City Pop est apparu dans mon giron auditif en même temps qu’un incroyable morceau de funk, au travers d’une playlist youtube truffée de caractères japonais…
Etant le seul terme en anglais que je pouvais comprendre, il m’a immédiatement interpellé. Et c’est ainsi que j’ai pu dans un premier temps le définir :
La City Pop est un genre de musique japonaise, funky, fondée sur un lifestyle urbain et un état d’esprit d’oisiveté et de joie.
En revanche, c’est la la seule définition que j’aie pu trouver sur ce genre… Du moins en français. Et là vous me dîtes, « c’est bien flou »… Alors qu’est-ce que la City Pop qui, comme le prouve les occurrences du terme dans mes recherches google, semble connaître un retour en grâce en ce moment au Japon ?
Je suis donc parti dans les tréfonds du web pour tenter d’en trouver une explication.
Analyser les sous-genres et les sous-mouvements musicaux avec un regard extérieur, et sans se déplacer sur les lieux où cette culture se vit, implique toujours une importante marge d’erreur. Et lorsque que cette mouvance semble bénéficier d’un « revival », il faut plus que jamais prendre des pincettes pour l’aborder.
Ces derniers mois, quelques journaux japonais évoquent un retour de la
City Pop, un « genre » qui se caractérise par le métissage de la musique locale confrontée à des influences globalisées.
Au détour de mes recherches, j’ai pu croiser le journaliste musical Yutaka Kimura qui a analysé ce mouvement depuis ses débuts au travers de nombreux livres. Il la décrit comme une musique influencée par les genres occidentaux comme le jazz et le R’n’B, mêlé à la tradition musicale (au moins dans le choix de chanter en japonais) et se caractérisant par un ressenti d’écoute « urbain » (autre mot dangereux).
Selon lui, cette appropriation et réécriture musicales émergent au tournant des années 70 et 80 notamment grâce à Happy End, le groupe pionnier de la pop nippone, dont la répercussion leur a permis d’être qualifiés de « Beatles japonais ».
Dans les années 70, Happy End joue donc de la proto-City-Pop (oui nous sommes allés jusqu’à ce terme). Mais il faut patienter encore quelques années pour que les grands noms d’un mouvement encore en évolution, tels que Sugar Babe (le tout premier groupe de Tatsuro Yamashita qui connaîtra ensuite un grand succès en solo) et Eiichi (membre des Happy End), commencent à en définir les contours.
Tels sont donc les fondements de la City Pop.
Le principal écueil définitionnel que l’on rencontre lorsque l’on fait face à une musique post-moderniste, et donc créée dans un contexte nourri d’influences et de références multipliées par une culture mondialisée, est de la penser d’avantage comme un mode de vie que comme une véritable technique musicale.
Et la City Pop souffre très exactement de ce syndrome, ne serait-ce que par son étymologie dont les notions principales (« ville » et « pop ») sont naturellement floues. Alors comment avancer dans la définition de ce genre ?
L’enjeu fut alors pour moi d’essayer de définir par mes propres écoutes cette musique – et d’en passer par le google japonais (https://www.google.co.jp/ avec le mot-clé City Pop).
À l’écoute, le trait commun entre les différents morceaux semble définitivement tenir à une certaine légèreté funky, emplie de joie et d’une orientation vers la fête, la danse, l’oisiveté… Il est à noter, que l’iconographie des pochettes de disques, mettant aussi bien en avant la ville que des transats et des plages, des voitures, des outils technologiques posées sur le sable etc, va dans ce sens..
Paradoxalement, le terme semble aussi bien associé à quelques morceaux récents qu’à une myriade de titres plutôt sortis dans les années 80. Et si le City Pop n’était donc pas un genre en soi, mais une version funky de la J-Pop, la pop japonaise au sens large ? Un J-Funk, donc.
Mais l’uniformité esthétique des pochettes des disques, et de leurs plages/filles/voitures et couchers de soleil urbain laisse penser à une certaine spécificité. Et cela m’a poussé à interroger les modes de vie qu’impliquait la City Pop, pour savoir ce qui dépendait vraiment de cette terminologie, même si par le prisme sociétal on s’éloigne un peu de la musique à proprement parler.
La majeure partie des titres étant datée des années 80, une contextualisation de cette production dans son environnement social est en effet éclairant. Les 80s sont une période où le pays connait une explosion économique incroyable (Bubble Economy). La jeune et nouvelle classe moyenne aspire alors à une certaine jouissance revendiquée, loin de toute austérité liée à la nécessité de reconstruction du Japon et de devoir de mémoire des années noires qu’a pu connaître le pays. Quitte à pousser le raccourci sociologique : les jeunes Japonais des années 80 veulent simplement kiffer.
On comprend donc le contexte d’éclosion de la City Pop. Mais qu’en est-il de son retour actuel ?
Il pourrait s’expliquer par une volonté de retrouver l’état de frivolité des folles années 80. Mais est-ce suffisant pour expliquer ce semblant de revival ? En 2015, beaucoup d’articles,q notamment ceux de Tsutaya, évoquent la City Pop comme une grande mouvance de l‘année, notamment grâce au succès du groupe Cero.
Pourtant, le spécialiste Yutaka Kimura ainsi que Music Magazine considèrent que ce genre est définitivement mort au tournant 2000.
Alors qu’est-ce qui demeure de la City Pop aujourd’hui ?
Rien. C’est en effet davantage le terme, en tant que mot-clé, de City Pop que le genre musicalement identifié qui connaît aujourd’hui un retour notable. Un outil marketing qui semble destiné de manière assez vague à promouvoir l’idée d’un renouveau de la scène indie et créative de la jeunesse japonaise. Une sorte de jeu de journaliste en manque d’étiquettes faciles.
Le flou conceptuel qui entoure la notion de City Pop n’empêche toutefois pas de trouver une cohérence à la production musicale des artistes de l’époque. Et en se penchant sur les dates de sorties des albums, on est forcé de noter une certaine homogénéité de productions. Car la City Pop a bien eu son âge d’or entre 1978 et 1993. Et on peut donc se permettre d’évoquer une scène clairement identifiée avec des artistes récurrents qui collaboraient les uns avec les autres : Mokoko Kikuchi, Haruomi Hosono, Tatsuro Yamashita, Ryuichi Sakamoto, Shigeru Suzuki, Akemi Ishii etc…
En revanche c’est avec une certaine nuance qu’il faut aborder l’idée d’appropriation d’un héritage musical japonais, les morceaux s’inscrivant plutôt dans une tissu de références occidentales, parfois chantés en anglais, même s’il faut noter quelques trouvailles de productions atypiques (l’utilisation des Yamaha DX7, Roland Juno-60, ARP Quadra, Moog Polymoog et Oberheim OB-8 par exemple).
Il y a donc bien eu au coeur de l’archipel un foisonnement créatif de funk synthétique pendant plus d’une décennie, animée par une communauté de musiciens. Et bien souvent cette production était extrêmement qualitative. Et pour passer plusieurs heures à écouter cette musique venue du Japon, voici une sélection de l’excellent digger Valentin Puech.
73 morceaux de City Pop, des années 70, principalement 80 et même 90, bienvenue dans la City Pop des eighties japonaises !