2017, l’odyssée de l’espace.
Au début des années 2000, et au moment de la mise en forme de Michigan, qui devait devenir son troisième album studio, l’Américain Sufjan Stevens, alors compositeur d’une pop folk précieuse, cathartique et hallucinogène, annonce s’être lancé dans le projet, pharaonique, de composer un disque en l’honneur de chacun des 50 États formant les États-Unis d’Amérique, le « 50 States Project ». 1 000 fois commenté, parfois démenti par son auteur lui-même, le projet paraît aujourd’hui autant appartenir au mythe sufjanien qu’à un véritable projet d’écrire sur le long terme.
Car un peu comme Balzac, qui n’avait jamais pu terminer, en des temps plus anciens, l’immense récit de l’histoire napoléonienne qu’il avait pourtant l’ambition d’exécuter (entre-temps, il rencontra la mort), Sufjan Stevens n’en racontera que deux, des États américains. Michigan d’abord, puis Illinois ensuite, sans doute le plus grand album de l’Américain à ce jour (le disque, notamment, de l’immense tube « Chicago »). Certains auront beau avoir vu dans la parution de Carrie & Lowell (son dernier album revenu à des fondamentaux folks et digérant la disparition d’une mère qui ne l’a pas élevé), une nouvelle contribution au projet et l’apparition sous-entendue d’un disque racontant cette fois l’Oregon (à lire : l’excellente analyse de Slate sur le sujet), il semblerait bien que ce projet, trop vaste et condamné d’office, ait été bel et bien abandonné. Trop de phases dépressives, trop de projets annexes (dont le hip hop électronique Sisyphus, avec Son Lux et Serengeti), et un esprit qui aurait manifestement tendance à voguer dans trop d’endroits à la fois pour arriver à se concentrer sur un seul et unique objectif.
50 États américains, 8 planètes
D’autant qu’entre-temps, Sufjan Stevens paraît avoir décidé, non plus de se contenter de la narration romancée du pays qui l’a vu naître il y a une quarantaine d’années, mais de la narration d’une entité légèrement plus large, à savoir, le Système solaire. Carrément. Sauf que cette fois, conscient de l’énormité de la chose, et contraint par des problématiques techniques (il n’est pas seul dans l’entreprise), Sufjan les raconte sur un seul et même disque, ces planètes composant le seul et unique système dont on prétend commencer à percevoir certains contours plus ou moins précis.
Ce disque, c’est donc Planetarium, que l’on n’aurait pas pu nommer plus clairement, un album odysséen, lyrique, vocodé, et extravagant comme avait pu l’être Illinois, disque mené aux côtés de trois compères de longue date (Bryce Dessner de The National, Nico Muhly et James McAllister) et dont chaque piste narre l’une des différentes planètes connues à ce jour (« Neptune », « Jupiter », « Venus », « Uranus », « Mars »…et « Earth » en avant-dernier, via une quinzaine de minutes d’élucubrations bizarres), lorsqu’il ne s’agit pas de la Lune, du « Black Hole », ou des tous premiers instants du monde, lorsque l’on était encore au début de toute chose (« In The Beginning »). Certains parlent parfois de « pop étoilée ». On est en plein dedans.
Un projet ressorti des limbes
Planetarium sort donc aujourd’hui, sur 4AD. Mais les bases de l’aventure cosmique de l’Américain existent, elles, depuis un bon moment. Depuis 2012, en fait, et cette création effectuée il y a cinq ans pour les besoins du Muziekgebouw, une salle de concerts néerlandaise (dans la ville d’Eindhoven), où Sufjan and co avaient testé pour la première fois la représentation live de ce Planetarium, un show présenté ensuite un peu partout au cours de la même année, un live porté par une scénographie, justement, digne d’un véritable planétarium grandeur nature. Une odyssée, pour de vrai.
De cette création, ne demeurait alors que les témoignages élogieux de ceux qui y avaient assisté, et quelques captations lives disponibles sur le web à la qualité forcément contestable. Mais il y a quelques mois, parce qu’il était nécessaire de passer à autre chose après la composition, l’enregistrement, et l’interprétation forcément difficiles du traumatisé Carrie & Lowell, (chanter la mort de Maman sur scène, nerveusement, ça épuise), Sufjan est revenu sur cette expérience éphémère, et aux côtés de McAlister, s’est replongé dans les morceaux de ce Planetarium qu’il a fallu retravailler, afin de l’adapter aux contraintes de la production studio. Quelques versions retravaillées (« Saturne » notamment), des morceaux ajoutés à la version initiale, et un disque à écouter, tant qu’à faire, les yeux fixés vers les étoiles, avant de voir le tout en vrai, le 10 juillet prochain à la Philharmonie, dans le cadre du festival Days Off.
17 morceaux stellaires (le terme est adapté), quasiment autant de voyages, et une croyance qui grandit encore : on se disait bien, aussi, qu’il était bien possible que ce type n’était pas forcément de ce monde-là…
Visuel : (c) pochette du disque