So Film sort un papier sur les coulisses d’un clip absolument culte.
Le lundi, dans BAM BAM (le Bureau des Affaires Musicales de Nova), on fait une mise à jour, et on vous parle d’un sujet qui fait l’actualité. Et aujourd’hui, on a eu envie de vous parler de clips, et d’un clip en particulier, qui a changé à l’histoire du genre.
Toute cette histoire débute dans les années 90. À l’époque, il y a un collectif de vidéastes qui fait parler de lui : Kourtrajme Productions. À la base, c’est une bande d’adolescents, une bande de potes, formée de Ladj Ly, Kim Chapiron, Romain Gavras, Toumani Sangaré et de tous ceux qui gravitent autour. Ils vivent entre le XXe arrondissement parisien, la Maison des jeunes de Montfermeil et traînent le weekend à Châtelet Les Halles. Certains de cette bande sont « des fils de ». Kim Chapiron est le fils de Kiki Picasso, Romain Gavras est le fils de Costa Gavras. Mais ça ne fait pas d’eux des privilégiés : ils ont certes accès à du matériel et à une certaine culture, mais ils n’en sont pas moins punks et débrouillards, et ils veulent toucher à tout.
Punks et touches-à-tout
Ils ont envie de filmer les breakers, les rappeurs, et la culture des 90’s comme Chris Maker a su filmer une autre réalité sociale. Chris Marker qui dira d’ailleurs d’eux, plus tard : « Mes amis de Kourtrajmé sont la nouvelle nouvelle vague ». Mais revenons en 1995 ; le film La Haine de Mathieu Kassovitz sort, et c’est un choc esthétique et culturel pour tous ces gamins. C’est décidé : Koutrajmé va faire des films qui vont tout changer.
Cette histoire on peut la lire dans le nouveau numéro de So Film – qui raconte ce tournant fondamental pour la représentation de la société française dans sa diversité. Mais ce qu’on peut lire aussi dans ce numéro, en kiosque depuis aujourd’hui, c’est les dessous d’un morceau et d’un clip qui vont bouleverser l’esthétique du hip-hop français.
On avance un peu : nous sommes désormais en 2003, à une époque où les clip de rap produit dans l’Hexagone ont une fâcheuse tendance à pâlement ressembler à ce qu’on voit aux États-Unis. La Mafia K’1 Fry – le all star crew de rappeurs du Val-de-Marne – veulent un clip pour leur hymne « Pour Ceux » ; un clip pas comme les autres, qui raconte ce qu’ils vivent pour de vrai, et qui représente les banlieues dans toute leur richesse aussi. C’est un certain DJ Mehdi qui fera les présentations entre le collectif du 94 et Koutrajmé.
En un mot : c’est le bordel
Pour ceux qui ne connaissent pas ce clip, c’est une plongée ultra-intense et urgente dans les cités d’Orly, de Vitry et de Choisy. C’est une vidéo qui frappe vite, et fort, où l’on suit la Mafia K’1 Fry en bas des tours HLM du 94, acclamés comme des rockstars, sur l’A4 à toute vitesse, dans un kebab. Filmé à la caméra DV, c’est un bordel quasiment impossible à décrire – mais un bordel qui a marqué le rap français – autant que les films La Haine ou Ma 6-T va cracker.
Il faut se l’imaginer : dans ce clip, tout est fait à l’arrache, spontanément. Quand on annonce aux jeunes de Choisy, d’Orly et de Vitry que la Mafia K’1 Fry va tourner un clip tout le monde descend et se met à faire des folies en bas des tours. Il y a ceux qui font chauffer les scooters, il y a Rohff qui a envie de faire des pointes à 250 km sur l’autoroute, il y a les bagarreurs et Rim’K que tout le monde veut toucher ; il y a les kahlouch, les manouches, les touareg, les soeurs qui seront les mères de demain, les pirates du bitume. Et les gars de Koutrajmé sont là aussi, caméra au poing pour capturer cette effervescence. Eux-mêmes hallucinent et dans le fond, eux seuls ont les épaules pour filmer la puissance brute d’une banlieue parisienne des années 2000. En un clip, ils créent un manifeste du rap français, une esthétique clipesque qui – enfin – n’imite pas ce qui se fait ailleurs, et qui inspirera beaucoup.
Un véritable manifeste
Il y a cent anecdotes de tournage dans cet article de So Film : des histoires de policiers qui débarquent tous les soirs, de milliers de francs qui circulent dans des coffres, des mini émeutes et des moments de grâce. C’est drôle, émouvant et ça raconte une pan de l’histoire du rap en France. On apprend même que quand le clip est monté et prêt à sortir, Koutrajmé et Mafia K’1 Fry ont envie de jouer les punks jusqu’au bout et de faire circuler la chose en dehors des circuits classiques. La VHS s’échange donc gratuitement et sous le manteau, le clip est offert en téléchargement gratuit à partir du serveur de Radio Nova, qu’il fera d’ailleurs exploser au passage.
On ne vous dit pas tout : il faut lire ce papier signé par Raphaël Malkin, Simon Clair et Arthur Cerf (souvenirs de Snatch Magazine), qui est fait à partir des interviews de Mokobé, de Romain Gavras, de Kim Chapiron, de Papou. Et c’est pour ceux qui veulent se souvenir de cette époque, de ce patrimoine du ghetto – l’article est à lire dans So Film, qui s’offre cette semaine un dossier spécial plus largement consacré à la Fabrique du clips français avec des interviews de vidéastes qui sont les stars du genre en ce moment et qui abordent de manière frontale des histoires de gros sous, d’alignement esthétique et de tyrannie.
Hasard de la presse, ce n’est pas le seul magazine en kiosque qui nous parle de clips – comme si trente après les premiers vidéoclip il était déjà temps d’en raconter l’histoire. Et ça c’est plutôt pour ceux qui préfèrent les classements, Les Inrocks ont sorti un numéro spécial consacré également aux 100 meilleurs clips de l’histoire du genre : avec du Gondry, du Spike Jonze, du Olivier Assayas, du Chris Cunningham. Une retrospective critique qui nous replonge dans les meilleures vidéos de Björk, Jacno, Daft Punk, Madonna, Outkast, New Order – et ça se trouve donc sur Les Inrocks.
BAM BAM, c’est le Bureau des Affaires Musicales de Radio Nova, animé par Sophie Marchand et Jean Morel, du lundi au vendredi sur Nova.