L’histoire folle de Jean-Claude Ladrat, l’icône de l’émission « Strip Tease », épisode 1.
C’est sans doute l’épisode le plus culte de l’émission de télévision belge non moins culte Strip Tease : “La soucoupe et le perroquet”. On y découvre un certain Jean-Claude Ladrat construire une soucoupe volante dans son jardin. Alors que paraît aujourd’hui un livre-enquête sur la vie de Jean-Claude Ladrat, Mauvais plan sur la comète (aux éditions Marchialy), nous sommes partis à la rencontre de l’homme qui a construit deux soucoupes volantes, fait le tour du monde en bateau, est passé par la case prison, pour finir dans un trou à rat charentais. Reportage et rencontre en deux épisodes. Première partie.
Impossible de ne pas le reconnaître, c’est bien lui, le poids des années en plus. « Voulez-vous un petit verre de pineau ? On est Charentais ou on ne l’est pas ! » L’accent, le phrasé, le pineau sur la table : Charentais, il l’est, sans aucun doute. Son appartement d’une vingtaine de mètres carrés se situe au sous-sol d’un HLM, dans la périphérie d’Angoulême. La lumière y est rare et blafarde. Où sont passés ses rêves, sa ferme et sa soucoupe ?
Depuis 1993, ses étoiles dans les yeux ont pourtant fait voyager des milliers de téléspectateurs. Cette année-là, le journaliste Frédéric Siaud réalise le fameux reportage « La soucoupe et le perroquet » pour l’émission de télévision belge Strip Tease. Il met en scène un paysan charentais inventeur d’une soucoupe soi-disant volante, sa mère, Suzanne Saget, et son perroquet empaillé.
Mais il y a bien plus d’aventures dans la vie de Jean-Claude que ce que l’épisode de Strip Tease donne à en voir. Avant sa soucoupe, comme après, la vie de l’énergumène charentais a été une succession d’aventures et mésaventures. C’est cette histoire que raconte le livre Mauvais plan sur la comète de Jean-Charles Chapuzet.
Mais où est passé l’homme à la soucoupe ?
La vie de Jean-Claude Ladrat, c’est l’histoire d’un paysan qui rêvait de voler et qui est tombé plus bas que terre. Qui voulait fuir les champs mais qui s’est trainé dans la boue. Et qui en 2005, a brutalement disparu de la circulation. Notre héros a-t-il réussi à s’envoler vers Altaïr, l’étoile vers laquelle il envisageait de décoller ?
À Germignac, Jean-Claude semble s’être volatilisé. De façon assez surprenante, dans le village de 635 âmes, personne n’a jamais rien vu, au bar « Le petit verre », comme dans la rue. Rares sont ceux qui ont aperçu directement la fameuse soucoupe. Encore plus rares ceux qui savent ce qui est arrivé à son propriétaire. Tout le monde y va en revanche de son anecdote rapportée de seconde main. « J’ai croisé un agent France Télécom qui m’a dit que le type avait fait installer le téléphone dans sa soucoupe », « Je crois que c’est la mairie qui l’a faite détruire. C’est le voisin qui m’a dit ça. Ils en avaient marre qu’il y ait des visiteurs et du passage », « J’ai déjà croisé sa mère à la boulangerie et ça m’avait suffi. Des gens comme ça, moins on les côtoie, mieux on se porte ». Le fond de l’air hivernal charentais est aussi glacial que l’accueil qui est réservé aux curieux.
« Je le connaissais, mais comme ça, pas plus que ça… J’en ai entendu parler forcément. Mais allez jusqu’à son hameau Chez Fournier. Ici dans le bourg il n’y a plus beaucoup d’anciens. Là-bas, ils sauront mieux vous renseigner. »
En partant de la place de l’Église, sortir de la commune en direction d’Archiac, suivre Neulles, passer un ou deux mauvais virages. La route traverse ces terres viticoles qui servent à la production du Cognac et du Pineau. Des terres calcaires, des plaines doucement vallonnées et boisées, une infinité de ruisseaux, affluents du Né, lui-même issu du fleuve Charente : nous sommes au cœur de la « Petite Champagne », deuxième cru de Cognac. Il faut tourner à droite et un panneau l’indique. Chez Fournier, une dizaine d’habitants. La maison de Jean-Claude Ladrat est au fond du chemin. Plus de soucoupe, mais une maison à l’abandon visiblement depuis plusieurs années et un jardin en friche.
Les voisins immédiats ne sont pas plus bavards, bien au contraire. Plus on se rapproche physiquement de l’objectif, plus l’information se tarit. Le flou de la rumeur laisse place à un mur de silence. Le claquement des portes vient couper court aux débuts de conversations. Dernière tentative, auprès d’une grande demeure située quelques centaines de mètres plus loin : la porte restera close, alors même qu’on aperçoit très distinctement les occupants de la maison à travers les rideaux. Le village de Jean-Claude Ladrat n’est finalement peut-être pas le meilleur endroit pour trouver des réponses…
Le Germignacais réside pourtant toujours dans la région, après avoir connu la prison pour une histoire de mœurs. Celui que l’on croyait évaporé à tout jamais réside non loin de là, à Angoulême. Quand il apparaît dans l’encadrement de sa porte d’entrée, il a le cheveu gris, le ventre proéminent et les yeux en amande comme les avaient décrits sa mère dans le reportage télé. « Il a les yeux d’un extraterrestre », disait-elle…
La jeunesse brisée
Assis à sa table en formica, Jean-Claude Ladrat nous offre donc un verre de ce fameux Pineau. Visiblement content d’avoir de la visite, il commence à se raconter, toujours léger et le sourire qui contraste avec la vie menée.
Jean-Claude est né le 19 mai 1945 à Marcillac-Lanville, petite bourgade de 594 habitants située à 25 kilomètres d’Angoulême, sur la rive droite de la Charente. Il grandit dans l’exploitation agricole de ses parents, aux côtés de sa petite sœur, Claudette. « Mon père travaille dur sur le lopin de terre que lui a légué son propre père », écrit Ladrat dans Don Quichotte des Bermudes, un livre-mémoire que Ladrat a fait publié en 1984 par un petit imprimeur local, soit 10 ans avant l’épisode de Strip Tease, et désormais disponible en PDF sur internet.
Il n’est pas tout à fait humain
À l’époque, la mère de Jean-Claude Ladrat, Suzanne Saget, est déjà bercée de culture ésotérique et de croyances paranormales. Elle est persuadée d’avoir été fécondée par un esprit extraterrestre. Il n’est “pas tout à fait humain”. Ce fils d’extraterrestre a pourtant un vrai père biologique. Un mari qui maltraite Suzanne. « Maman quitte le domicile conjugal, la vie n’est plus tenable à la ferme, désormais notre quête du bonheur se fait au gré des déménagements. » Incapable de subvenir à leurs besoins sans les revenus de l’agriculture, Suzanne Saget se fait alors retirer la garde des enfants, qui sont placés dans deux pensionnats séparés. Jean-Claude Ladrat se sent abandonné, loin de sa sœur et de sa famille « qui l’a oublié ». « Sept années de déchirure, de repli sur soi, de sentiment d’injustice ». À l’internat, Jean-Claude, alors tout jeune adolescent, subit toutes ces années les viols et attouchements des plus vieux. « Ça m’a cassé, j’y ai perdu beaucoup : toute ma jeunesse. » Il en parle aujourd’hui avec une simplicité déroutante, tout en retournant l’omelette aux pommes qu’il cuisine pour son goûter. Et ces mots, qui reviennent en boucle : « ce sont les choses de la vie, c’est comme ça, c’est le destin ».
À seize ans, il est « libéré ». Ses résultats scolaires médiocres le sortent de son calvaire. Il est envoyé pour travailler chez un exploitant agricole et change plusieurs fois de propriété : vaches, vignes, maraîchage… Mais le monde du travail n’est pas plus doux et réjouissant que ce qu’il a connu jusqu’à présent. « On me propose à un riche propriétaire. Celui-là, il s’offre carrément un esclave, inutile de décrire mes conditions de vie. Hiérarchiquement, le chien passe avant moi », écrit Ladrat, qui travaille sept jours par semaine, dix heures par jour. Le propriétaire lui donne bien 5000 anciens francs le dimanche soir pour aller s’amuser à la frairie du village, mais ce seul petit plaisir ne lui suffit pas. Il rêve de s’évader et a déjà la tête dans les étoiles. « Je ne prenais pas de plaisir à l’agriculture et je passais mes nuits à regarder le ciel. » La Terre, c’est l’ennui, c’est la violence.
L’exode
Avant qu’il n’essaie de prendre la route vers les astres les plus lointains, c’est la mer qui prend Jean-Claude Ladrat par surprise. À 21 ans, la tutelle qui s’exerçait sur lui prend fin et il part immédiatement chercher du travail dans la « grande ville », Bordeaux. Cette fois-ci, il va pouvoir choisir lui-même son employeur. Il entre dans la capitale girondine en traversant le Pont de Pierre, avec face à lui, la splendeur des hôtels particuliers de négociants. Il s’arrête, scotché par ce qu’il voit : « À droite du pont, là c’était pas une vache, que j’ai vu ! Des cargos de plusieurs dizaines de milliers de tonnes ! Il y en avait sept ou huit. Ça, c’était autre chose ! », raconte-t-il, encore l’émerveillement dans la voix. À l’époque, Bordeaux est encore une porte sur les océans et sur l’aventure, elle vit ses dernières heures comme grand carrefour maritime, bientôt remplacée par des terminaux à conteneurs plus en aval dans l’estuaire. Jean-Claude Ladrat s’approche du quai et admire l’Altafjord, un navire de pavillon norvégien. Le gardien l’interpelle. Le bateau recherche du personnel de navigation, départ immédiat. Sans hésiter, il monte à bord et ne quittera plus la marine six années durant : « Pas un sou en poche, passeport et vaccins à jours, le cargo quitte l’estuaire, la côte devient incertaine, les mauvais souvenirs sont restés à terre ».
À Madagascar, le jeune charentais de 21 ans découvre l’amour d’une femme pour la première fois. Celui des marins, celui que l’on renouvelle dans chaque port contre quelques billets. « Il faut souvent laisser l’argent sur le comptoir pour connaître le septième ciel », écrit-il. Les soirs où Jean-Claude reste seul, c’est à la lecture qu’il s’abandonne, lui qui trimballe avec lui des valises pleines de livres de science-fiction. Aujourd’hui, des livres, il n’en a plus beaucoup, à part une encyclopédie et la Bible. Il ne rate en revanche jamais un bon film d’anticipation à la télévision, surtout quand il s’agit d’ E.T. l’extra-terrestre ou de La Guerre des étoiles.
L’envie permanente d’ailleurs
Après l’Altaford, Jean-Claude Ladrat rejoint le Palma, un autre navire, suédois celui-là : Japon, Golfe persique… Ses séjours prolongés en Inde nourrissent sa culture religieuse et ésotérique d’autres spiritualités. Il se découvre adorateur du soleil, comme les hindous, qui vénèrent Surya, le dieu Soleil. « Sur le pont du bateau, je me suis tout simplement rendu compte que j’avais un don, je peux regarder le soleil plusieurs minutes en continu sans me bruler la rétine ». Où qu’il se trouve, l’éternel insatisfait regarde toujours ailleurs.
Deux tours du monde plus tard – d’après Jean-Claude, un cargo met environ trois ans à faire un tour du monde – deux tours du monde plus tard donc, le marin se fait débarquer de force à Malaga, pour « bizarrerie ». Il vient de vivre son premier phénomène paranormal.
Une révélation aux Triangles des Bermudes
À bord du Palma, il est convaincu d’avoir rencontré un esprit au cœur du Triangle des Bermudes. Mais si l’on en croit les indications de navigation, c’est en fait au large du Cap Vert que son récit a lieu. Malgré ces incohérences, Jean-Claude Ladrat raconte aujourd’hui cet épisode avec un souvenir extrêmement vivace. Ses yeux s’illuminent, sa voix s’anime, et nous voilà accoudés à sa table de cuisine devant une omelette aux pommes, soudain projetés dans le brouillard de l’Océan Atlantique.
Jean-Claude est de garde à la timonerie. Toutes les nuits, deux matelots se relaient auprès de l’officier, mais ce soir-là, il est seul : son camarade Olsen est cloué au lit. À minuit une sonnerie retentit, les appareils de navigations deviennent fous. « Les compas tournaient comme des toupies, on a du arrêter les machines. Sauf qu’un cargo de 85 000 tonnes, ça s’arrête pas comme une mobylette ! On a continué comme ça pendant une vingtaine de kilomètres dans un étrange brouillard lumineux. » Au bout de sa table de cuisine, Jean-Claude Ladrat est émerveillé. Il se voit debout sur le pont. Quand le brouillard se dissipe et que le navire retrouve son fonctionnement normal, Jean-Claude est définitivement marqué. La nuit même, un esprit « communique » avec lui, il a une mission à accomplir, il doit rejoindre l’étoile Altaïr. Avec le reste de l’équipage, c’est la rupture : « je me suis transformé, un autre homme, mes camarades me regardaient sans me comprendre ». Il doit faire ses adieux à la marine.« Le 12 janvier 1970, je me retrouve sur le plancher des vaches, la tête brouillée d’idées et de projets nouveaux et un contrat moral à respecter, nul ne me ferait renier mon nouvel engagement. Dans le train qui me ramène vers la Saintonge, s’élabore le schéma de ma prochaine vie ». Direction Altaïr en soucoupe volante, avec une escale par la Charente.
À suivre, dans l’épisode 2.
Retrouvez toute la vie de Jean-Claude Ladrat dans « Mauvais plan sur la comète » de Jean-Charles Chapuzet (éd. Marchialy), le livre-enquête sur le héros de « La Soucoupe et le Perroquet », sorti aujourd’hui en librairie.