La chronique de Jean Rouzaud.
Le Funk est une sorte de noyau atomique, autour duquel s’agite des électrons, et un paquet de particules, mais dont on n’arrive pas à expliquer vraiment la structure, vu qu’elle est enrobée de nombreuses couches d’atomes qui s’entrechoquent…
Le Funk, une « sueur positive » ?
Je me souviens de l’époque où Jean-François Bizot (fondateur de Nova) expliquait pudiquement que le mot venait d’un dialecte africain et signifiait « sueur positive », tandis que d’autres avaient subodoré un argot underground de musiciens, dont le vrai sens caché se situerait plutôt du côté du sexe.
Les universitaires voyaient son origine dans le Jazz « Hard Bop » juste avant 1960, les amateurs donnaient la primeur à James Brown juste après 1965, les puristes citaient « Cold sweat » (1969 ?)…
Mais quand j’écoutais « Papa’s got a brand new bag » en 1966, il y avait déjà breaks et reprises cristallines ou ondulantes, et Le Godfather James poussait déjà ses « Hans ! », « Hun ! » ou « Hin ! » sur le premier temps…
« Give me the one ! » était déjà la règle de base d’un James Brown déchainé et minimaliste, qu’il criait à tous les ténors qui l’entouraient, de Maceo Parker à Bootsy Collins (et bien d’autres… comme Hendrix !)
Pour moi, tous les grands tempos ou rythmes magiques sont faits d’un tricotage de différents rythmes entremêlés ou superposés, qui s’opposent ou se complètent : entre deux rythmes, il y en a un autre.
Et c’est ce qui fait toute la différence : ce rebond, cette relance, ce temps marqué dans le silence, dans l’espace qui reste, dynamise l’ensemble (comme une couleur « complémentaire », opposée dans la gamme et qui fait « chanter » un tableau ou une harmonie, en peinture).
Dans les Caraïbes, ces « compas », ce qui peut se transformer en pas ou en déhanchements, sont légion. Il existe des tas de rythmes mêlés, rajoutés, afin que la variété, la rapidité des « temps » musicaux, offrent une grande diversité : Rumba, Mambo, Cha, Son, Charanga, Bolero, Salsa, Cumbia… et l’ultra rapide Merengue de Saint-Domingue.
Quant au Funk, il doit être asséné, répété, hypnotique, et donne un rythme de danse fort, haché, plein de breaks et reprises pour faire des figures, sans perdre cette cadence régulière, le tronc du truc.
Les musiciens disent parfois : the Thing, la chose, ou même « Thang », car le mystère du Funk, à l’ombre du Blues, du R&B, du tambour ou même des lamentations des « wailers » des champs de coton ou de canne… a quand même besoin de son code rythmé, spécial.
Perdu pour perdu, on peut quand même faire la somme des exemples : Belkacem Meziane, prof, musiciens et chroniqueur (Soul Bag, New Morning Radio) nous propose ses 100 albums, comme histoire du Funk.
Son titre : On the one ! Hommage au premier temps fort du Funk, il l’annonce clairement. Spécialité de l’éditeur marseillais Le Mot et le Reste, le rappel des noms, des listes, pour ne pas tout oublier…
Belkacem Meziane chronique avec dextérité toutes les nuances des grands et des moins grands : chaque album est raconté et détaillé avec son image de couverture, mais aussi son environnement et ses satellites à écouter. Un bain de Funk ! De sueurs froides ou chaudes, aimées ou dansées.
James, Sly, Jimi, Curtis, Betty, Herbie, Nile, Cameo, Bootsy, Prince, George, Quincy, Morris… et tous les autres chevaliers Funkoniques, en plateform Boots, fusées, Limos, Soucoupes volantes, paillettes, minis, à pied ou à ski… Tous en quête du Funk ultime.
Un des rares blancs est honoré du label : Eric Burdon (avec War), mais Dillinger, malgré son « Funky Punk » dérivant, est absent… Les tentacules du Funk sont interminables et il y a encore des sous-couches.
Chacun a ajouté sa goutte de sueur dans la marmite… bouillonnante ! Qui mettra la prochaine louche ?
On the one ! par Belkacem Meziane. L’histoire du funk en 100 albums. Éditions Le Mot et Le Reste. 252 pages (100 albums avec photos noir et blanc, 100 artistes et groupes sur 50 ans). 20 euros.
Visuel © Getty Images / NBC