Entretien mis en abyme avec l’entité féminine du groupe La Femme.
D’une élégance certaine, droite et gracieuse, Clémence Quélénnec nous attend à une table de son café fétiche au coeur d’un 13e arrondissement encore secret, vestige d’un Paris un peu plus calme, un peu plus naturel que la débauche de fausse énergie qui anime souvent la capitale. Le naturel, c’est aussi ce qui se dégage de cette musicienne aux origines bretonnes qui a bondi au coeur d’une aventure musicale qui part de Biarritz, et qui s’est étoffée au fil des voyages, d’EPs et d’un premier album remarqué, Psycho Tropical Berlin. Cette aventure, c’est celle de La Femme.
C’est cette appartenance à ce groupe protéiforme, mais aussi sa propre identité de musicienne curieuse, ouverte à tout, que nous avons voulu aborder avec elle. Rencontre tous azimuts.
Pour commencer je voulais évoquer ton rôle dans La Femme. Sur le disque, plusieurs chanteuses ont été impliquées (Clara Luciani, Marilu Chollet, Jane Peynot). Mais sur scène, tu les interprètes toutes ; comment arrives-tu à assimiler ces voix qui sont autres ?
En fait ce sont des chansons que j’ai déjà interprétées au moment de la composition de l’album, et le processus d’écriture a pris 2 ans. Je les ai donc toutes enregistrées pour les maquettes et on a essayé plein de choses en termes d’arrangements, du travail sur les voix. Finalement les garçons ont opté pour des interprètes différents sur les morceaux, pour faire quelque chose de très précis dans l’enregistrement. Ça n’a jamais été très compliqué, du coup, de les interpréter, même si j’ai dû parfois me réadapter au timbre etc. Car ces voix sont très différentes, et doivent dégager une atmosphère particulière.
Comme on évoque ta présence lors de l’élaboration et l’enregistrement des morceaux en studio, est-ce que tu as pris part à l’écriture ?
Non je ne fais que l’interprétation à part pour le couplet d’une chanson, « Hypsolyne », où les garçons m’ont donné carte blanche, parce qu’on chantait tous les trois (Sacha, Marlon (les deux leaders du projet NDLR)) et moi, et du coup j’ai écrit mon couplet au sein de ce titre.
« Infidèle amour tendre
Regard noir mémoire blanche
Sur mes hanches tu t’épanches
Et soudain tu t’élances
De profil la nuit pâle
Te rappelle la cavale
Amnésique du dimanche
Psycho-dream te débranche »
Par conséquent est ce qu’il y a aussi ton regard dans le clip / court-métrage qui est associé à ce titre et réalisé par La Femme, ta façon d’illustrer ton propre couplet ?
Dans le clip, en effet, chaque passage où l’on chante est découpé. Quand je chante je suis seule dans une chambre, mais en ce qui concerne la réalisation des clips on est tous dessus, on fait tout nous-mêmes et on s’entoure de beaucoup d’amis qui nous aident, parce qu’on fait avec les moyens du bord. Ce sont de grosses équipes où chacun met la main à la pâte.
Tu dis que vous faites avec les moyens du bord, mais de la même manière que tu t’investis pour Converse Made By You, il y a aussi un sentiment qu’il y a une revendication de l’esthétique Do It Yourself chez La Femme, que ça fait partie de votre entité artistique…
C’est vraiment parce qu’on a envie de tout faire nous-mêmes, de tout maîtriser parce que c’est nettement plus créatif. Même si on rêve de faire des clips avec des effets spéciaux par exemple et que là c’est plus compliqué. On a mille idées qui sont tout de même difficiles à mettre en place…
Il y a dans le groupe des gens qui ont une formation classique et d’autres qui sont autodidactes. Est ce que cela amène des approches différentes lors des processus de composition ?
Je dirais que non parce que Sacha, qui a appris seul, et Marlon, qui a une formation classique, ont une manière différente de composer et de jouer, mais sont aussi bons l’un que l’autre. Surtout, on ne parle jamais de musique de façon technique. On cherche davantage l’intuition et chacun intervient dans la forme qu’il veut, tout le monde est force de proposition.
On est pas des puristes, la preuve on en a jamais parlé entre nous (rires).
On ressent une volonté constante d’évolution dans vos clips et morceaux. Est ce que vous cherchez tout le temps à remettre à plat ce que vous créez ?
Oui, on essaie toujours de s’amuser, même si il y a des leitmotiv quand même, dans les éclairages pour les vidéos par exemple. Certaines choses reviennent. Mais c’est vrai qu’on s’inspire à chaque fois de ce qu’on vit en tournée, dans nos vies respectives qui font qu’il y a de nouveaux univers qui arrivent pour le nouvel album notamment, mais ça je ne peux pas trop en parler encore.
En terme de look aussi, il y a une recherche d’esthétique de sape, de chineur, de fripes….
Oui, on est tous comme ça, on est fous de fripes, on achète jamais neuf, on achète des sapes des années 20 ou 40, de vrais vêtements quoi, mais pas forcément dans une recherche esthétique globale, c’est juste que c’est plus joli et de meilleure qualité. Comme on voyage beaucoup on aime bien rapporter des sapes d’un peu partout. Au Laos par exemple on est allés chez des tailleurs se faire couper des costumes. De plus en plus, maintenant, on créé nos vêtements, pour la scène notamment, Marlon se fait des pantalons chez des tailleurs africains, moi je donne mes idées pour me les faire faire à quelqu’un avec qui je bosse régulièrement. Ca participe toujours de notre volonté de tout faire, de tout créer.
Vous faites la même chose avec les instruments que vous chinez, pour trouver de nouvelles inspirations et expérimentations sonores ?
On en rapporte dès qu’on voyage en fait : des flûtes, des guitares, une cornemuse, bon qui nous a fait une semaine pas plus, une cithare… C’est juste de la curiosité.
Et la musique que vous écoutez en voyage, que vous découvrez sur place, elle infuse dans votre musique ?
Oui ça nous inspire, mais je ne sais si ça se ressentira, mais en tout cas dans nos maquettes, avec ces nouveaux instruments, on expérimente toujours, on ne s’interdit rien du tout.
on expérimente toujours, on ne s’interdit rien du tout.
Et sur place il y a des moments où vous avez joué de la musique dans des contextes différents de d’habitude ?
Oui, souvent ça n’est pas prévu et les gens nous invitent chez eux et on joue. Ou alors ils nous organisent des concerts dans un squat du jour au lendemain, on le fait tout le temps.
Et il y a des captations de ça ?
Nous on capte beaucoup, on est tout le temps en train de filmer, on a énormément de rushes. On fait beaucoup de petites vidéos avec du son mais pour nous-mêmes, on en a utilisé pour faire des clips… On s’en sert à l’occasion en somme.
Est ce que vous avez l’ambition d’aller encore plus loin dans la réalisation ?
Oui, là aussi, on a des envies, mais je ne peux pas en parler non plus… Mais les garçons, leur ambition initiale était déjà de composer de la musique de film, ça a toujours été latent chez eux.
Pour revenir au clip de tout à l’heure, est ce que le clip n’était pas déjà contenu en creux dans le morceau ?
Oui parce que la musique vient d’images, c’est très cinématographique, ça vient d’un univers. Dans la tête des garçons y’a déjà plein d’images en tête au moment de la composition qui se retrouvent dans les clips.
Est-ce que vous auriez voulu réaliser un disque où chacun des morceaux serait accompagné d’un clip ?
Oui c’est ce qu’on voulait faire ! Mais on n’a pas eu le temps de tout filmer avec la tournée etc… (On évoque alors Chassol et la mise en musique de films qu’il tourne dans sa perspective d’harmonisation du réel NDLR)
Est-ce que tu composes aujourd’hui en solo des suites des expériences avec La Femme ?
Oui, j’ai commencé à composer aujourd’hui en solo, avec mon clavier, de façon assez Lo-Fi, avec mon Ipad ou sur Garage Band, des petites maquettes quoi. J’essaie de les finaliser, mais j’ai eu cette envie de faire mes trucs à moi. J’ai enregistré aussi des voix pour d’autres projets.
Et sur des morceaux que tu composes de façon personnelle, toi qui est interprète, est-ce que tu arriverais à laisser quelqu’un d’autre y toucher ?
Absolument pas, je sais que c’est très bizarre, mais c’est quelque chose de vraiment très personnel, de la même manière que réussir à le faire jouer à quelqu’un sur scène serait compliqué. Il faudrait que je sois dans une relation de confiance, où l’humain prime, je ne me vois pas jouer avec un musicien que j’aurais embauché…
Est ce que la littérature, peut t’évoquer de la musique ?
Davantage des paroles en fait, d’autant qu’en termes de lectures je marche par phases, je bloque sur quelque chose que j’approfondis, que ce soit un thème ou un auteur…
Ah oui j’avais vu ta passion pour Jung… (un médecin psychiatre suisse, fondateur de la psychologie analytique et penseur influent NDLR)…
(Rires) Oui et maintenant toutes mes lectures sont orientées vers le Mexique et la culture d’Amérique du sud, Octavio Paz, Gabriel Garcia Marquez… Et du coup ça créé une atmosphère dans ma tête, quelque chose qui tourne autour d’un thème, une inspiration principale.
Et en musique c’est le même système de fonctionnement alors ?
Exactement j’ai besoin d’écouter quelque chose qui me nourrit. Mais ça ne se fait pas dans une démarche encyclopédique, ça se fait au gré des découvertes, d’un morceau que j’entends et qui m’intringue. De manière générale, j’écoute quand même de la musique pour danser, j’aime beaucoup danser c’est pourquoi j’écoute de la funk et de la soul.
Et pas du tout de techno ni de house ?
Pas trop, même si on a joué des sets plus électroniques avec le groupe notamment pour le festival Astropolis, où on était qu’avec des machines sur scène. Ah si, il y a mon pote Jacques Auberger qui utilise les sons du quotidien pour faire de la musique électronique. En concert c’est une vraie performance, il capte les sons et les utilise en direct. Donc je le recommande pour finir.