Plus qu’une performance technique (un plan-séquence de 2h20 !), Victoria prend le pouls de la jeunesse européenne. Il bat vite.
Le plan-séquence serait-il redevenu tendance ? Pendant longtemps cet exercice de style (rappel pour les néophytes : on parle d’une séquence tournée en un seul plan, généralement acrobatique, sans coupure) fut l’apanage de quelques réalisateurs qui en firent un effet-signature et/ou une prouesse technique. Certains (la balade dans les coulisses d’un restaurant des Affranchis de Scorsese, l’ouverture – 12 minutes non-stop – de Snake Eyes …) sont devenus légendaires.
Le principe semble s’être démocratisé ces derniers temps, entre Birdman, Gravity ou une fameuse séquence d’assaut d’un épisode de la première saison de True Detective. Sebastian Schipper vient pour autant de tous les écraser avec Victoria, qui n’est composé que d’un seul plan… de 2h20 – et qui plus est à l’inverse du film d’Innaritu sans aucune coupe ni autre petite truanderie numérique.
Faut-il pour autant appeler le Guinness Book ? Pas si sur quand au delà de cette exceptionnelle performance – ce n’est pas pour rien si le premier nom crédité au générique de fin est celui du chef opérateur, Sturla Brandth Grovlen-, Victoria peut grimper sur le podium pour de nombreuses autres raisons.
Ne serait-ce que pour secouer le cinéma allemand qui commençait, pour ce qu’on en voie en France, à s’encrouter dans un cinéma d’auteur confit dans une humeur amorphe, confite dans de sempiternels drames existentiels domestiques. Au-delà de son aspect technique, Victoria est un film incroyablement vivant. C’est même le moteur, cette énergie d’une jeunesse prête à s’embarquer dans toutes les aventures.
C’est précisément ce que va faire Victoria, une espagnole en exil à Berlin qui tombe sur Sonne et ses potes. Elle devrait aller dormir une heure ou deux avant d’ouvrir le café où elle bosse mais tombe sous le charme de ce sympathique dragueur. Au moment où ils vont se rouler une pelle, un shoot d’adrénaline remplace les vapeurs d’alcool : Sonne a besoin d’un chauffeur pour aller braquer une banque. Victoria accepte, la cavale peut commencer.
Le film lui a déjà tout pris en main: impossible de lâcher l’écran, embarqué par cette caméra souple, mobile, accrochée aux basques de cette fille et ses nouveaux amis. A vrai dire, ce braquage n’est qu’un prétexte. Ici, il est surtout question des nouveaux codes de société, l’importance d’appartenir à une tribu, d’y trouver une manière d’exister et s’y épanouir.
Sebastian Schipper a longtemps appartenu, lorsqu’il n’était qu’acteur à celle d’un jeune cinéma allemand des années 90. Celui de Cours, Lola, Cours, le film de Tom Tykwer (déjà une histoire de course contre la montre) qui a rappelé que la production locale ne se résumait pas uniquement à Wim Wenders ou à des comédies familiales encore plus indigestes que Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu?
Victoria s’inscrit dans cette lignée ( de Cours… à Head on, en passant par Good Bye Lenin) de films ayant intégré une identité européenne, une Allemagne réunifiée repoussant les frontières. Mieux, il la ressource. Il n’est du coup pas innocent que cette virée d’une Espagnole acoquinée à des allemands se passe à Berlin, la ville de toutes les énergies. Bienvenue dans un film à suspense façons Erasmus.
Ne pas se leurrer non plus sur le ton du film : s’il va à cent à l’heure, c’est malgré tout pour raconter comment la jeunesse contemporaine est ralentie par le monde, qui brime ses idéaux. L’image va vite, mais le coeur du film est peut-être cette B.O, assez mélancolique, hors du temps réel où l’action se déroule.
Formellement, Victoria joue la carte du cinéma vérité, mais au fond la pulsion de cette fille qui décide de lâcher prise, de sauter dans l’inconnu est bien plus en phase avec des idéaux purement romantiques.
Plus que la tension amenée par l’époustouflante mise en scène, c’est bien la romance entre Victoria et Sonne (Laia Costa et Frederick Lau tous deux parfaits de naturel) qui rend ce film électrisant, flamboyant.
En salles le 1er juillet