Interview d’une icône du Rap Malien
Je me souviens de ma rencontre avec l’icône du Rap Songhoy, Abdoulahi Ibrahim Touré que tout le monde connait sous le nom de Mc Talka au Mali. C’était en Avril 2011 à Bamako, et il ne faisait pas moins de 42°C à l’ombre. Je me suis rendu chez lui à 14h où il m’a acceuilli dans un bel appartement très simple où il cohabitait avec un ami Marocain. On ne peut pas dire qu’il faisait dans le sentimental, c’était plutôt le genre à dénoncer haut et fort ce que tout le monde pensait tout bas. On voyait tout de suite que c’était un débrouillard, qui n’a pas peur de se piquer de curiosité pour tous les problèmes qui touchaient son pays. Et comme il le disait si bien : « Allez, bois un verre de thé et après tu auras la solution« .
Mais il nous a quitté. Son message restera à vie dans l’esprit d’une grande partie la jeunesse malienne comme dans le mien. Voilà pourquoi je tiens à saluer son courage et son combat en vous retranscrivant ici notre entretien. Son discours est celui d’un précurseur à la veille de l’explosion de la guerre au Mali, j’espère qu’il lui est fidèle.
Qui es-tu Mc Talka ?
Né dans la région de Gao, au Nord Mali, sous le nom d’Abdoulahi Ibrahim Touré, je suis aujourd’hui un musicien, un rappeur, plus connu sous le pseudo Mc Talka. Les initiales MC signifient « Master of Ceremony », et Talka veut dire « pauvre »… Donc le « Maitre de cérémonie des pauvres ». Je me suis engagé à être leur avocat, leur défenseur. Dans cet esprit, mon groupe de Rap a été baptisé « FASKAW’S » une expression de la langue Songhoy que l’on peut traduire par « défenseur de toutes les causes nobles ».
À notre manière, par le Rap, nous réclamons de toutes nos forces l’intégrité territoriale du Mali et un développement durable. Nous souhaitons, dans un avenir proche que l’ordre revienne dans la région Nord du pays et que les populations – victimes innocentes – puissent vivre sereinement et dignement.
Nous avions déjà exprimé cela dans notre premier album « Mali, le Nord pleure ». À cette époque, le gouvernement a mal interprété nos paroles, pensant que nous appelions à la rébellion. Ils ont même cru que nous voulions éteindre la flamme de la paix à Tombouctou. L’album a été censuré sous prétexte que toute idée liée à une révolution au nord du Mali est interdite de diffusion sur les radios et à la télévision nationale. Nous avons été mal compris. Nous voulions simplement rappeler à notre pays que sa région Nord pleure, qu’elle est perpétuellement dans le malheur. Il faut trouver une solution d’envergure avant que la région – hélas déjà internationalement connue pour son brigandage, son terrorisme et ses trafiques en tous genres – soit durablement une zone de non-droit risquant de déstabiliser tout le pays.
Comment se répercutent ce blocage et cette insécurité sur les populations qui habitent cette zone? Peut-on dire que le Nord est désormais assiégé ou pris en otage ?
Les populations locales se battent déjà, au quotidien, contre l’ensablement, la sécheresse, le réchauffement climatique et parfois les criquets ! Des populations épuisées et excédées qui sont aussi confrontées à des conflits ancestraux et inter-ethniques entre Songhoys, Peulhs, ou Idnans, Ifoghas, Arabes ou Kountas, des querelles souvent attisées par ceux qui veulent « diviser pour mieux régner ». Il est temps et même urgent que la cohésion sociale prenne le pas sur les intérêts individuels et la corruption. Protégons nos terres des appétits financiers multiples aiguisés par la richesse de son sous–sol, mais aussi des étalages de richesses mal acquises qui deviennent insupportables.
La décentralisation des services de l’Etat est-elle une solution d’avenir ?
Il y a des incohérences dans les politiques de décentralisation… Par exemple, la ville de San qui n’est même pas une région, a hérité d’ un magnifique stade qui n’existe ni à Kidal, ni à Tombouctou, ni à Gao (ndlr : les trois régions qui composent le Nord du Mali). Prenons l’exemple de Kidal qui ne dispose à ce jour d’aucun goudron : il faut se rendre à Gao, à 460 km, pour obtenir un certificat de résidence ou un titre foncier. Il faut faire 1 600 km pour avoir un passeport et faire des études supérieures, et parcourir 1 000 km pour un procès de justice, à Mopti !
L’ingérence des autorités et leur injustice vont toujours conduire à une forme de révolte et à une situation explosive, alors que nous ne voulons que la paix, la stabilité, la justice… Revendications légitimes qui passent toujours par le développement et la cohésion sociale et qui sont indispensables pour construire un avenir à notre jeunesse.
‘’DemoKrazy’’, qu’est-ce que c’est?
C’est le titre sur lequel j’ai travaillé avec Abjeez, un groupe Iranien sur le titre DemoKracy. Vous savez aujourd’hui la démocratie est devenue une autre crise à part, elle à ses problèmes de vaincus, de vainqueurs et de vainqueurs vaincus ! On réalise actuellement un nouvel album dont le titre sera en Songhoy… Je porte beaucoup d’attention aux textes qui évoquent les problèmes du monde entier et j’invite les gens à bien écouter, notamment les paroles…
« Nous avons dit « good bye au communisme, démocratie start too… alors que nous les africains, ont veut aussi du too (ndlr : plat africain)… dark démocratie ! tes too de tas de bloff de boucher, dark démocratie, laisse nous tranquilles, enjoy so life, laissez-nous vivre notre vie, recule t’es pas d’Hercule! … » .
Les textes que tu chantes sont surtout en Songhoy pourquoi ?
Je chante surtout en Songhoy. Bien sûr, j’aime travailler aussi avec des artistes Européens. Mais la prise de conscience commence déjà par celle de nos populations. Alors, on doit s’exprimer le plus souvent avec la langue qui nous est propre pour faire passer le message et être parfaitement compris par les nôtres. Je m’adresse surtout aux communautés du Nord parce que dans le premier album, j’ai chanté » yir hortou » « on a souffert » ; il y a aussi du Tamasheq (la langue touarègue) dans ce titre pour dire que le premier travail à faire doit s’effectuer sur soi. Tu dois d’abord passer le message auprès du public directement concerné pour qu’il ouvre davantage son esprit et que les mentalités évoluent. Le public doit comprendre, qu’au travers de ton Rap, tu partages sa souffrance et son chagrin.
Avec l’insécurité et toutes les restrictions imposées au Nord, pensez-vous que le projet du festival « Mali Sweden Voices » a de l’avenir ?
La première chance appartient au peuple, donc à nous de la sauvegarder. Si on le veut, on peut ! Si on se met à la tâche aussi vite et aussi fort que possible, si les populations sont vraiment motivées : les autorités vont forcément nous soutenir. En tant que producteurs du festival, nous tenons à conserver un esprit de simplicité, de détente et de liberté. C’est pourquoi nous souhaitons que ce festival se fasse sans parrainage politique et sans officiels, à l’exception des élus locaux, pour éviter les contraintes de protocole et de sécurité. La présence de personnalités exige une sécurité qui génère des débordements brutaux provoqués par un encadrement trop zélé.