L’intégrale d’une bédé de référence sur les années 80.
A la fin des années 70 et au début des années 80 la bédé devenait crue et rock, en prise avec son époque et une jeunesse sortant de l’adolescence. Margerin, Jano ou notre Jean Rouzaud national – essentiellement l’école Métal Hurlant donc -, sont de parfaits marqueurs de cette période. « Germain et Nous » la bande dessinée de Frédéric Jannin, ne connut jamais la même reconnaissance critique. Probablement parce que la série était publiée dans le journal de Spirou et, à une époque où la bd voulait entrer dans l’âge adulte, il était courant de négliger le très boy scout journal belge.
Pourtant, à la faveur d’une gargantuesque intégrale sortie cette rentrée chez Dupuis – 704 pages quand même – « Germain et Nous » s’impose comme une bédé référence indispensable. 704 pages c’est quasiment 704 semaines, puisque Jannin livrait au journal une planche hebdomadaire. Démarrée en 1977 dans le supplément « Le trombone illustré » dirigé par Franquin, la série intégra le journal l’année suivante.
Frédéric Jannin, jeune belge de 21 ans aux dessins et Thierry Culliford (fils de Peyo) d’un an son ainé aux scénarios, pour les premières années, lancèrent ainsi une série sur les adolescents et l’air du temps. Tous les adolescents. Et tous les airs du temps. Germain n’y était qu’un personnage anonyme, qui ne sera jamais développé dans la série, autour duquel tournent les « nous » – soit tous les archétypes et caractères possibles, de François-Patrice le dragueur à Luc-Luc le fan de hard rock, mais aussi leurs parents : Paul le beauf moustachu accro au football ou Laetitia et Jean-Alain, les amateurs de macro bio par encore remis des années hippies.
Et absolument toutes les années 80 y passèrent, décryptées par leurs modes et leurs objets, de l’omniprésence de la télé et de ses pubs, des débuts du magnétoscope, du walkman, du synthétiseur qui remplace la rock star, l’arrivée des fast food, les premiers ordinateurs et les jeux vidéos. Démarrée en fin de cycle baba cool, la série s’achêva 13 ans plus tard en pleine domination yuppie. Si le rythme s’essouffle au fils des années, « Germain et Nous » reste l’un des plus drôles et des plus précis documents sociologiques que la bande dessinée franco-belge ait produit. Et d’ailleurs en fouillant un peu, tout art narratif confondu, je ne vois pas une oeuvre qui ait suivi à la loupe aussi méticuleusement cette période charnière. Précieux donc. Et drôle !