Kenya et Royaume Uni pour une musique où s’entrechoquent joie et percussions.
C’est à croire que c’est une forme de magie de science infuse, de quelque chose qui tient du génie… Comment est-il possible qu’une fois encore on retrouve un certain Damon Albarn derrière l’un des projets Afro-pop les plus aboutis de ces derniers mois. On connaissait déjà son très beau projet intitulé Africa Express, Cette école, ce lieu de musique en forme de laboratoire d’expérimentations sonores et soniques, où artistes africains et occidentaux fusionnent leurs cultures et leurs connaissances. Il en résultait d’ailleurs une tournée et un projet sur disque : « Africa Express Presents : Maison Des Jeunes » en 2014. Un Album Enregistré au Mali et qui réunissait quelques bons copains de Damon Albarn, et pas des manches : Brian Eno, Nick Zinner (Yeah Yeah Yeahs), Ghostpoet… avec des musiciens de Tombouctou et d’Afrique de l’Ouest comme les Songhoy Blues que nous aimons particulièrement sur Nova.
Tel la main de Midas, il faut toujours s’intéresser à ce que fait Damon, ainsi quand ce dernier fait un voyage en 2009 au Kenya, en compagnie de Jess Hacket et de ses camarades musiciens, on se dit qu’il va forcément se passer quelque chose. C’est en effet à l’occasion de ce voyage que Jess rencontrent un batteur, Charles Owoko, dans la province du Nyanza, ainsi qu’un joueur de lyre nyatiti Joseph Nyamungu.
Et voilà l’ossature de Owiny Sigoma Band, avec deux albums au compteur : un éponyme et « Power Punch » qui leur ouvre les portes d’un succès plus large, à la suite d’un enregistrement à Londres sous la houlette d’un autre mec qui compte, un certain Gilles Peterson…
Mais pour ce troisième disque paru le 28 août dernier, le Owiny Sigoma Band a besoin d’un changement de décor, d’un retour aux sources aussi peut-être, dans la province kényane de Nyanza, tout à l’ouest du pays. Un zone géographique où prédomine l’ethnie Luo, dont l’héritage est repris dans le disque, notamment au travers du morceau « Changaa Attack », le tout relevé par des nappes synthétiques qui électrisent.
C’est véritablement un disque en forme de voyage qu’il nous est donné d’écouter, la musique devient presque un schéma narratif, celui de pérégrinations d’un groupe lors d’un retour au Pays, le morceau d’ouverture évoque ainsi Nairobi, l’arrivée, et un constat, trop chaud, avec la polysémie qu’implique ce mot. C’est donc vers la campagne que se dirige le groupe, un camp de pêcheur, une nuit façon Nyanza et la troisième ville du Kenya, Kisumu, réputée pour son poisson.
Ce sentiment de voyage, que l’auditeur prend part à une forme d’expédition collective où on cherche à l’immerger s’explique aussi par l’ossature du disque, qui est fondée sur des enregistrements sur place, des micros sont placés dans une maison louée à Kisumu, mais aussi aux alentours du Lac Naivasha, dans cette démarche de field recording de plus en plus présente dans la musique actuelle. Dans Nyanza Night, la pluie d’une soirée devient ainsi un élément de la composition du morceau, il prend part à un une partition de réel, de musique et de souvenirs. Souvenir d’une nuit où Charles Owoko et Joseph Nyamungu retournèrent à leur village pour une nuit de biture (le Changaa, alcool local dont la légende dit qu’il est coupé au kérosène et à l’acide de pile) mais surtout de Jam, d’improvisation, avec les musiciens du village.
Dans Luo Land, on retrouve des sonorités qui témoignent d’un métissage de plus en plus important de la musique africaine, le Shangaan Electro genre originaire de Limpopo en Afrique du Sud qui voyage là à des milliers de kilomètres de son environnement de naissance. Le titre I Made You You Made Me se fait quant à lui l’écho pop sucrée de la musique FM que l’on entend au Kenya, ces radios qui surjoue la joie jusqu’à une overdose de sucre, mais qui ont ce charme attachant qui peuvent faire muter une chanson en une belle trouvaille pop.
Ce road trip finit donc par faire corps avec la musique, mélangeant une épopée humaine comme les aspiration créatrices, conférant une authenticité réelle au disque, qui ne sonne ni anglais ni kényan, mais comme l’oeuvre d’un groupe, dans sa disparité et son alchimie évidente, une cohérence augmentée par une recherche poussée, sans jamais sombrer dans l’écueil du savant ou du redondant. Un disque de vie, ou de bon vivre, plus exactement.