En 1983, le journaliste Pierre Job rencontre, hasard heureux et impromptu (il y a ici une histoire de café partagé en terrasse, et de projets qui trouvent leurs origines dans le marc des cafés noirs), le chanteur et compositeur congolais Bony Bikaye. Pierre Job travaille alors chez Radio Nova, qui connaît ses premiers murmures (nous datons la fondation de cette radio à l’année 1981, soit celle de l’émergence des radios libres). La radio émet alors depuis la rue du faubourg Saint-Antoine. Bony Bikaye, originaire de Kinshasa (il produit alors le groupe Zaiko Langa Langa, figure de proue du soukous congolais, et est de passage à Paris pour cette raison), est fasciné par Kraftwerk, par le krautrock, par Can, et par ces sons, d’Allemagne post sixties et d’ailleurs, qu’on associe alors relativement peu à l’environnement mental d’un artiste originaire d’Afrique centrale. Le coup de cœur est immédiat, la fascination réciproque. Ces deux-là vont bosser ensemble.
Cette rencontre aboutit à une autre, puisque Pierre Job (qui officie également dans d’autres sphères sous le nom d’Hector Zazou) met Bony en contact avec Claude Micheli et Guillaume Loizillon, deux producteurs d’une musique électronique encore, en France, relativement timide. Ils formeront bientôt le projet CY1 (spécialité, synthétiseurs modulaires), puis sortiront avec Tony Bikaye l’album Noir et Blanc, bizarrerie afro-électro qui ne ressemblait alors à rien d’autre, et qui ne ressemble d’ailleurs toujours pas au reste. Le disque est kraut, new-wave, funk, afrobeat, novateur. C’est un succès mondial. De niche, bien sûr, mais un succès tout de même.
Citons Crammed Discs, label bruxellois d’avant-garde qui avait initialement sorti ce disque au milieu des années 80. « Nous sommes heureux de présenter une édition ‘augmentée’ du deuxième disque de Zazou Bikaye, Mr. Manager, paru en 1985 sous forme d’un mini-album vinyle, et jamais réédité sous aucun format depuis lors. Cette nouvelle édition comprend neuf nouveaux titres, dont six sont totalement inédits, et trois étaient parus sur des singles à tirage limité. »
Vous l’avez compris, il s’agit ici de la suite logique de Noir et Blanc, un Mr. Manager cosmique, introspectif, perché et bizarrement dansant (« Viva la musica » ou « Le Menteur », éthio-jazz et krafwerkien), essentiel pour les amateurs de ces disques qui paraissent être sortis de nulle part (on note le merveilleux et sensible « Soki Akei ») et qui sont en fait l’œuvre d’artistes simplement venus d’ailleurs.
Vous avez sans doute entendu ces dernières semaines le titre « Nostalgie » sur nos ondes, et c’est vraiment cela dont il s’agit ici : d’une nostalgie pas forcément triste (parlons peut-être, dans ce cas, de « spleen ») à propos d’une époque, pas si lointaine, où une simple rencontre autour d’un café pas trop sucré pouvait aboutir à la sortie de disques qui permettrait aux plaques tectoniques de bouger, et d’ériger, dans la foulée, de nouvelles montagnes.
Nova vous offre des exemplaires de cet album culte. Rendez-vous sur la page Nova Aime pour y dénicher le mot de passe.
Visuel © Wim Van De Hulst