L’Amérique sous Trump est tellement folle qu’elle méritait bien un regard décalé pour mieux la comprendre.
Certains films sont un peu plus que des films. Certains réalisateurs sont un peu plus que des réalisateurs. Miranda July passe ainsi entre les mailles du filet, navigant entre ses activités de musicienne, performeuse, écrivaine et donc cinéaste. On avait fait connaissance avec cette facette de l’américaine en 2005 avec Moi, toi et tous les autres, plongée dans une Amérique profonde aux airs de Twin Peaks mais sans part de noirceur et de violence, plutôt une sorte de terrain de jeu pour adultes névrosés regardant le monde avec une sorte d’hébétude et d’innocence. Puis plus rien ou presque, un second film, The future, resté inédit un peu partout, perdu dans son univers de trentenaire largués et d’espace-temps à traverser. Kajillionnaire donne donc des nouvelles de July. On peut clairement dire qu’avec cette histoire de famille d’escrocs à la toute petite semaine, la réalisatrice ne va pas beaucoup mieux, mais c’est paradoxalement une bonne chose quand il en résulte un étrange feel-good-movie, posant un regard décalé sur l’Amérique du capitalisme. Dans une des premières séquences le patron d’une usine de mousse qui loue un local en guise de maison à cette famille fait savoir qu’il n’a pas de filtre, ressent à l’extrême la moindre émotion. C’est peut-être la meilleure définition d’un film qui essaie de décrypter les codes et les mœurs de l’époque avec une hypersensibilité, une naïveté presque infantile qui lui permet toutes les curiosités, toutes les audaces. Surtout celle de se débarrasser de l’encombrant cynisme de ce type de comédie, d’aborder la complexité des rapports humains modernes avec simplicité, de transformer ce qui aurait pu n’être qu’un drame de la précarité, à la Ken Loach en imprévisible bulle poétique et excentrique.
Ce regard aussi éberlué que bohème, permet à Kajillionnaire, auscultation très colorée d’une époque virant de plus en plus au noir, de s’écarter d’un état des lieux d’une insupportable réalité. Le désenchantement peut y pointer son nez, mais avant tout une envie de croire que pour résister à la pression économique, il faut ouvrir les soupapes. En laissant échapper des vapeurs mentales par moments hallucinogènes, mais toujours libératrices, Kajillionnaire met en état d’apesanteur, soit le meilleur moyen de se délester, même si ce n’est que le temps d’une séance de cinéma, du poids du monde actuel.
A.M
En salles le 30 septembre