Le futur qui n’a pas eu lieu … ?
En pleine guerre de 14, pendant le premier semestre 1916, nait le mouvement DADA, au Cabaret Voltaire à Zurich. Moins de 50 places, des tableaux cubistes, futuristes aux murs, et la volonté de faire sauter les verrous de l’Art ! .. Et indirectement ceux d’une société figée.
Hugo Ball, Emmy Hennings, Kurt Schwitters, Marcel Janco, Hans Arp, Tristan Tzara, Richard Huelsenbeck, Hans Richter, Raoul Hausmann… tous ces poètes, peintres ou écrivains vont se regrouper autour de cette idée : puisque le monde est débile, allons y à fond dans l’irrespect et l’absurdité !
La bataille de Verdun allait leur donner raison avec plus de 300 000 morts et autant de blessés en quelques jours…pour rien ! Et dans le même temps des fauvistes, cubistes, futuristes, constructivistes et bientôt des expressionnistes tentaient aussi de changer – si ce n’est le monde -, du moins son regard sur les choses.
Alors « Cabaret Voltaire », deux mots qui s’opposent et comme ce n’est pas assez, leur Art va s’appeler DADA, enfantin pour le public, impraticable pour les galeristes, imprononçable pour les critiques sérieux de l’Art officiel, pompier et académique. Et puis l’état de grâce de ces révoltés va donner des œuvres iconoclastes, faites de récupération et d’oppositions d’idées : des affiches, des tracts, mais aussi des danses, des poèmes, des bruits, des chansons primitives dans des langues inventées, des onomatopées, des masques…
Quand on veut une rupture, il faut la faire jusqu’au bout ! Ainsi les dadaïstes livrèrent des danses de sauvages, des cris, des costumes en métal ou carton, des collages en bouts de ficelle, et des insultes envers le public… Ils seront tous virés pour outrages, tapages et autres scandales, dispersés, puis regroupés, plutôt entre Paris et Allemagne. Mais la force de leurs idées libératrices – et vraiment révolutionnaires – allait leur survivre.
Chacun peindra, écrira, collera… pour une nouvelle ère. Exemple Schwitters qui fit de sa maison une oeuvre, un « Merz » comme il baptisait son travail, notamment en utilisant la deuxième syllabe de « Kommerz », par ironie…Tout l’intérieur était restructuré avec des bouts de bois et autres débris jusqu’à en faire une sculpture neo cubiste habitable… détruite par les bombardements (j’ai pu en faire de superbes photos à la biennale de Lyon, sur une reconstitution parfaite).
Ces petits génies de la provocation allaient être « niés » par l’histoire ! Quasi inconnus jusqu’à maintenant, leurs œuvres éphémères de bric et de broc, fragiles, méprisées… n’ont presque pas vécu jusqu’à nous. « Celui qui dit la vérité, sera exécuté ». Trop fou, bizarre, compliqué… Si loin du monde matériel, bourgeois ou affairiste. Seul, Francis Picabia sut vendre et faire admirer les contorsions savantes et les mécaniques folles des dadaïstes.
Pourtant ils allaient engendrer sans l’avoir voulu TOUS les grands mouvements culturels, artistiques et d’avant-garde qui allaient suivre leur exemple, fantômatiques et plus mythiques à chaque génération. D’abord les Surréalistes copièrent assidûment leurs idées et formules, mais en y ajoutant le soi-disant onirisme, rêve de comptables. Breton y excella comme chef de bureau, assurant promotions et renvois…
Puis ce sera les Lettristes, assez proches et violents, eux mêmes pillés par les Situationnistes, – Guy Debord et sa clique de pirates -, inspirant plus tard les gauchistes au nom de la haine de la Société du Spectacle. Marcel Duchamp et le Pop Art doivent tout aux dadaïstes qui avaient déjà compris et magnifié des fers à repasser aux yeux en verre. Marcel Duchamp en fit carrière avec porte-bouteille, pissoire et roue de vélo, mais dix tons en dessous. Après les pionniers, les profiteurs.
Après la Beat génération bien dadaisée, les hippies comme Frank Zappa ou Captain Beefheart empruntèrent les chemins escarpés Dada, mordants et échevelés, en rupture, immédiat comme le « Do It Yourself » et « tout, tout de suite ». A leur insu, les Punks furent peut être les plus proches de leur révolte, de leur cri : «no future… for humanity ! »… Dur, mais bon à entendre, et ils subirent la même punition. Effacés les vrais, place aux copieurs !
Même les performances, installations, work in progress et autres »trucs » conceptuels leur doivent absolument tout. Enfin, un siècle après, la crainte des dadaïstes, le choc de leurs idées radicales – que l’homme est gâteux et nuisible, borné et sans fantaisie et qu’il marche sur la tête – s’estompe un peu, les marchands sont de retour. Renseignez vous sur ces ancêtres, débusquez quelques images et oeuvres d’époque ( 1915-1925) et surtout pas les imitations ! Vous y verrez ce qu’on n’a plus vu depuis des décennies qu’en pâles photocopies.
Les dadaïstes ont encore besoin qu’on leur rendent justice.
DADA NOT DEAD !
« Nous ne voulons ni du sens, ni des valeurs, merde à tout ! »
(Raoul Hausmann)
« Nous ne craignons pas la mort car la mort est dada. »
(Kurt Shwitters)