« Non, sire, ce n’est pas une révolte, c’est la macarena ! », peut-on lire sur un dessin de Stéphane Trapier. Et c’est vrai que le cinquantième anniversaire de Mai 68 a eu parfois des faux-airs de fête à neuneu, où les pavés sont en mousse et où les révoltés d’hier soutiennent aujourd’hui la doxa et la matraque. Relire Hocquenghem et rire jaune.
Heureusement, il y a eu des initiatives moins sinistres. L’ouverture du cycle Désordre en a fait partie. Au fil des séances (dont une partie s’est tenue dans l’ancien Revlux), les dénicheurs de l’association Monoquini nous ont permis de voir, de revoir des films de Chris Marker, Jessua, Baratier, Eustache ou Forman ; et de s’abreuver à la source de leurs propos, de leurs joies et de leurs emportements. Des témoignages, fictionnels ou documentaires, d’une époque et d’une génération à vif, dont le propos est toujours aussi actuel. Il n’est d’ailleurs pas dit que les générations actuelles aient moins de révolte qui bouillonne en eux – et si vous me parlez d’Hanouna et des Anges à Gogoland pour le nier, je vous rétorquerai que Salut les Copains/Podium et les romans-photos à l’eau de rose, c’était pas terrible non plus. Bref, passons.
Jusqu’à la fin de l’année, ce cycle de projections consacré à une certaine idée du désordre, celui qui envoie un salutaire courant d’air dans les moral(e)s figé(e)s, reprend donc du service au Cinéma Utopia. Quatre films, un par mois, pour se replonger dans les espoirs, les craintes, les combats militants et la contre-culture de la fin des 60s et du début des 70s.
Ça commence ce 11 septembre avec Paul, l’unique long-métrage du sculpteur hongrois Diourka Medveczky. Unique, oui, car malgré un bon accueil en festival, le film ne sera jamais distribué ; Medveczky ne se remettra jamais de cet échec, se retirant même de toute vie sociale à peine trois ans plus tard. Pas la joie, en somme. Bon, causons un peu du film : Paul, jeune homme en rupture avec sa famille bourgeoise, prend la route et y confronte ses idéaux bohèmes. La route, la drogue, les communautés autogérées, le rousseauisme hippie, Lafont, Léaud, Kalfon : pour rouvrir le cycle, voilà un beau condensé de l’époque.
C’est ensuite La Coupe à 10 Francs, le dernier long-métrage de Philippe Condroyer qui sera mis à l’honneur ce dimanche 4 novembre. Dix ans après s’être coltiné la houppette de Tintin, Condroyer change de ton pour ce film autrement plus engagé et engageant. Inspiré d’un véritable fait divers, celui d’un ouvrier du Nord s’étant suicidé car il ne voulait pas couper ses cheveux comme l’exigeait son patron, Condroyer montre comment à partir d’une anicroche pouvant sembler futile (la longueur des tifs) se cristallisent la cruauté inique des rapports de forces, la fracture générationnelle, et la pression sociale pour éroder la capacité à se rebeller. Alors, rentrer dans le rang et se soumettre ou rester droit, une affaire d’honneur, quel qu’en soit le prix ? Éléments de réponse le 30 octobre mais désolé du spoil, faudra pas vraiment espérer une happy end.
Après une carte blanche accordée à la Cinémathèque de Toulouse, il sera ensuite temps, en novembre, de se tourner vers le Japon 70s, celui du « miracle économique ». Magnifique documentaire en noir et blanc supervisé par un Chris Marker qui ne trouve pas encore matière sur l’archipel à philosopher sur Pac-Man comme allégorie de l’existence humaine, Kashima Paradise montre la lutte acharnée des paysans refusant de céder leurs terres au gouvernement qui voudrait les exproprier et construire un aéroport dessus. Ça ne vous rappelle pas quelque chose, genre Notre-Dame-des-Landes ? Actualité, qu’on vous disait …
Et enfin, juste avant la trêve des confiseurs, on conclura avec le tout à fait culte Les Idoles, de Marc’O. Adaptation d’une pièce de théâtre signée du même Marc’O, le film épingle, dans un foisonnement pop à la Phantom of the Paradise, le culte de la célébrité et l’affairisme avide du music-business. 35 ans plus tard, Star Academy et la télé-réalité débouleront sur les écrans hexagonaux, preuve que quelques-uns n’ont pas tout à fait pris la mesure du propos de ce film visionnaire, servi qui plus est par un casting affolant, aussi devant que derrière la caméra : Jean Eustache au montage, André Téchiné comme assistant réal’, et dans les rôles principaux Bulle Ogier, Pierre Clémenti et Jean-Pierre Kalfon en star glam peroxydée.
Autant dire que les cinéphiles bordelais ne vont pas manquer de rendez-vous pour rendre hommage au dawa, au tumulte et à l’indiscipline. A fortiori si on ajoute les séances de la Lune Noire organisés par les mêmes Monoquini. Merci les gars !
Programme complet :
- Mardi 11 septembre : Paul, de Diourka Medveczky (France, 1969), au Cinéma Utopia.
- Mardi 30 octobre : La Coupe à 10 Francs, de Philippe Condroyer (France, 1974), au Cinéma Utopia.
- Mardi 27 novembre à 12h00 : carte blanche à la Cinémathèque de Toulouse – films du Groupe de cinéastes indépendants de Toulouse (1968-1972) à la Bibliothèque Mériadeck.
- Mardi 27 novembre à 20h15 : Kashima Paradise, de Yann Le Masson & Bénie Deswarte (France, 1973), au Cinéma Utopia.
- Jeudi 13 décembre : Les Idoles, de Marc’O (France, 1968), au Cinéma Utopia.
Plus d’informations sur monoquini.net (ou par sémaphores si vous avez la patience d’attendre que quelqu’un remette en marche les réseaux le jour où surviendra l’Apocalypse numérique)