Disparu en décembre dernier, cet écrivain parisien nous avait adressé une ultime utopie à diffuser post-mortem : une invitation à soigner sa sortie, via l’annonce d’un congé sabbatique exemplaire à durée indéterminée, en mer, à bord de son navire. Bon voyage, capitaine.
La première fois que j’ai rencontré Franck Balandier fut, malheureusement, la dernière. Du temps de la Nova Book Box, il m’était arrivé de débattre avec mes camarades – en public et en maillot de bain, ce qui lui avait bien plu – de la réussite d’une glaçante scène de piscine tirée de son roman Le silence des rails (2014), ou de lire à l’antenne des extraits de Gazoline Tango (2017) et de son très bref essai façon visite guidée du Paris d’Apollinaire (2018). Ce qui peut suffire, parfois, à créer des sympathies numériques réciproques, sans forcément se voir ou se parler.
J’ai donc été fort peiné d’apprendre, un dimanche soir, par le biais d’un message de sa compagne, qu’on venait de diagnostiquer un cancer incurable à cet écrivain de 68 ans originaire des Hauts-de-Seine, fan de rock – de Led Zeppelin à Timber Timbre –, qui travailla quarante ans dans l’administration pénitentiaire et qui créa, à la fin des années 70, une émission de radio diffusée en interne, écrite et animée par des détenus de Fleury-Mérogis – où il organisa également un live un peu mémorable de Trust en 1980, vite suivi par d’autres concerts en zonzon.
Le 11 février, Franck Balandier aurait dû avoir le plaisir de voir sortir en librairies son dernier livre, Sing Sing – musiques rebelles sous les verrous (éditions Le Castor Astral, préface de Philippe Manœuvre), épais recueil de portraits de musiciens ayant passé quelques heures ou plusieurs années derrière les barreaux, de Johnny Cash à Joeystarr, de Chuck Berry à Booba en passant par Daniel Darc. Mais la maladie l’emporta juste avant Noël.
Début novembre, l’artiste, facétieux, est venu enregistrer une ultime utopie à diffuser post-mortem : l’annonce d’un congé sabbatique exemplaire à durée indéterminée, en mer, une invitation à soigner sa sortie, tel le Bowie de Lazarus qui referma littéralement la porte sur lui, voire, encore mieux, comme un doux canular à la manière de l’humoriste américain Andy Kaufman – joué par Jim Carrey dans Man on the moon de Milos Forman, qui reconstitua, à la fin de son film, les funérailles du comique, au cours desquelles fut diffusée une vidéo où Kaufman disait qu’il n’était pas mort, qu’il s’agissait d’une blague, avant d’inviter ses proches à chanter l’amour et l’amitié en se tenant par la main.
Voici donc, d’un navire à l’autre, du pont de notre Arche à celui de son bateau en route vers Gibraltar, la grande traversée de Franck Balandier. Bon voyage et à bientôt, capitaine ; rendez-vous au couchant, sous le soleil de l’Atlantique, « qui ressemble à une hostie rose acidulée ».
Réalisation : Arnaud Forest.
Pour écouter la précédente utopie de Franck Balandier dans L’Arche de Nova, c’est là : https://www.nova.fr/news/franck-balandier-demain-tous-les-dieux-auront-disparu-42199-20-11-2020/
Image : Le jour de mon retour, de James Marsh (2018).