Co-scénariste de la BD « L’Âge d’or » avec Cyril Pedrosa, cette libraire arlésienne s’immerge dans les récits « trouble-fêtes » et autres « fabulations » inter-espèces de la philosophe et zoologue américaine Donna Haraway.
« Depuis l’aube du premier jour, nous semons les plaines d’un nouveau monde où, sous la courbe lente du soleil, l’ombre ne fait que passer. » En 2018, les librairies virent surgir un livre imposant : le premier volume de L’Âge d’or, dessiné par Cyril Pedrosa et scénarisé par ce dernier en compagnie de Roxanne Moreil, aux éditions Dupuis. Une fable médiévale, dont l’ambition est de concilier « récit d’aventures haletant » et « utopie politique », en veillant à créer un personnage féminin complexe, qui ne soit ni « forcément » sexualisé ni « forcément » sympathique. Voici donc Tilda, princesse rebelle condamnée à l’exil, guerrière progressiste qui part à la reconquête de son trône, ouvrant dans sa quête un livre légendaire susceptible de bouleverser l’organisation du monde. S’y déploient de solides convictions féministes, à travers une communauté de femmes, égalitaire et forestière, ainsi que le trait enchanteur de Pedrosa, proche de « l’âge d’or » des studios Disney – pour lesquels le dessinateur fut jadis assistant animateur, notamment sur Le Bossu de Notre-Dame (1996) et Hercule (1997).
Quelques mois après la sortie du second et dernier volume de son épopée moyenâgeuse, Roxanne Moreil, qui exerce également la profession de libraire à Arles, revient pour L’Arche de Nova sur l’une de ses sources d’inspiration politique : l’Américaine Donna J. Haraway, 76 ans, diplômée de zoologie et de philosophie de l’université du Colorado, dont la pensée éco-féministe peut être rapprochée de celle de Bruno Latour ou de Vinciane Despret, avec lesquels elle dialogue souvent. Notons aussi que ses travaux de référence sur les liens entre féminisme et innovations technologiques (Manifeste Cyborg, 1985) ont permis l’apparition d’un « Docteur Haraway » dans le manga Ghost in the shell.
Cherchant des pistes pour d’indispensables « renouvellements mutuels », Roxanne Moreil s’attarde ici en particulier sur Camille, l’un des récits de Vivre avec le trouble de Donna Haraway (2016, traduit aux éditions des Mondes à faire). Au dos, on peut lire : « Vivre avec le trouble, c’est entrer dans un monde étrange — le nôtre — où le temps, sorti de ses gonds, se retrouve ballotté dans un tourbillon de rencontres multispécifiques, d’appropriations violentes, de créations collectives sur fond de désastres climatiques. Un monde où les pensées émanent de symbiotes à corps multiples, visqueux et tentaculaires. Où la Terre est animée de forces aussi puissantes que terrifiantes. Où l’Humain, décomposé en humus, composte avec les autres espèces. »
Réalisation : Benoît Thuault.
Image : Le Nouveau monde, de Terrence Malick (2006).