Quand Takeshi Kitano s’amusait à rendre fou le Japon.
Aujourd’hui, une nouvelle a secoué le monde du jeu-vidéo : des millions de copies du jeu vidéos E.T ont été découvertes, enfouies, dans le désert du Nouveau-Mexique. On en parlait depuis des années, et la légende (désormais confirmée, donc) est qu’Atari aurait enterré ces cartouches pour les faire disparaître. Mais pour quelles mauvaises raisons la boite américaine a-t-elle décidé de polluer les sols ?
Nous sommes en 1982, le jeu vidéo « E.T L’extraterrestre » va sortir et Atari pense bien qu’il s’agira là d’un succès commercial. Et finalement non – la critique parle du pire jeu vidéo du monde, le public confirme : ce jeu ne vaut rien. Mais Atari, qui a vu les choses en grand et comptait écouler toutes les cartouches à Noël 1982, se retrouve face à des millions d’invendus. Et plutôt que d’accepter son échec, Atari décide, en 1983, d’enterrer sa honte et ses quelques millions de cartouches.
Cette rumeur circulait depuis longtemps, alimentant les plus beaux contes et légendes geek, mais Atari avait toujours démenti : jusqu’à ce que son secret bien gardé soit déterré. On ne sait pas vraiment par qui, si ce n’est que le documentaire mettant en scène l’opération de fouille est financé par Xbox Entertainment Studios. Et Microsoft (derrière XBox) s’est associé dernièrement à Atari et compte lancer sa plateforme de diffusion par ce documentaire. Bref, rondement menée, cette opération mi-pub mi-soumise aura le mérite de relancer le débat sur les pires jeux vidéos du monde jamais créés.
Car en matière de nullité il y a toute sortes de critères : le graphisme, le scénario, la complexité du game play. Et certains dinosaures n’ont rien à envier à la jeune garde des jeux vidéos. Le temps ne fait rien à l’affaire donc ; tous les jours il sort des jeux si mauvais qu’à côté Bubsy 3D est un chef-d’oeuvre graphique. Et dans le fond, il y aura toujours autant de jugements que de gamers.
Alors comment décerner la palme du pire jeu vidéo ? En écoutant son créateur quand il nous dit que sa propre oeuvre ne vaut rien. Il faut un peu d’humilité, d’humour et de folie pour déclarer ça en guise d’introduction à son propre jeu : et c’est bien ce qu’a fait Takeshi Kitano avec Takeshi no Chosenjo (Le Défi de Takeshi).
Pour l’histoire, Takeshi Kitano est un génie : un acteur de polars impeccables, un réalisateur de films parfois violents parfois planants, un écrivain et poète, un animateur de jeux télévisés complètement fous (oui les épreuves sans queue ni tête qu’effectuent des jeunes Japonais déguisés en ragondins en étant régulièrement mis à mal, c’est lui) et … un concepteur de jeu vidéo. Enfin, d’un seul et unique jeu vidéo qui a traumatisé toute une génération de japonais. Nous sommes en 1986 et à la demande Taito, Beat Takeshi conçoit un défi pour les joueurs sur la Famicom (la petite console qui marche du tonnerre au Japon).
Soyez prévenus, » Ce jeu a été fait par quelqu’un qui déteste les jeux vidéo » peut lire le joueur qui met en marche la machine infernale.
Et plus que de la détestation, Beat Takeshi va prouver qu’il se moque royalement de toute la génération de joueurs acharnés qui font la jeunesse japonaise. Le principe n’est pourtant pas très compliqué : un employé part à la recherche d’un trésor. Tadam, ça a l’air simple comme ça hein ?
Et pourtant, pour réussir, le joueur doit :
- chanter trois fois de suite un karaoké sans faire aucune erreur (dans la manette de la famicom)
- se battre avec un adversaire quasiment invisible et lui asséner quelques 20 000 coups (mais sans qu’on l’ait prévenus auparavant qu’il fallait donner autant de coups)
- faire du deltaplane dans une épreuve de shoot’em up à l’horizontale sans pouvoir se déplacer vers le haut ou vers le bas
- rester devant son écran sans toucher la manette pendant plus d’une heure
- frapper des personnes âgées
- et plein d’autres épreuves affreuses…
Evidemment, aucune indication n’est jamais donnée au joueur, s’il perd, il revient au début du jeu. Par ailleurs, Takeshi Kitano étant un rebelle notoire, il introduit dans son jeu tout ce qui peut choquer un enfant et lui inculquer de mauvaises valeurs. A défaut de réussir des épreuves, le joueur erre dans des mondes, notamment un peuplé de nazi-communistes, où il a le droit de frapper des prostituées, de parier de l’argent, de devenir un yakuza. Entre temps, il peut évidemment mourir sans raison et de manière complètement spontanée.
Bref ce jeu est absurde et surtout impossible. Quand le jeu sort : révolte dans les foyers qui ont tous fait confiance à Takeshi Kitano. Pourtant, lui-même avoue facilement avoir pensé à ces épreuves en étant passablement ivre et avoir convaincu les programmeurs en les saoulant.
80 000 copies se sont écoulées, mais personne ne réussit à terminer le jeu. Face aux critiques et aux quelques 400 plaintes par jour, les concepteurs acceptent de sortir un guide stratégique de jeu … qui ne sert à rien. Personne ne parvient pour autant à comprendre ce qui n’a évidemment aucune logique. Et (top of the pop) celui qui finirait ce jeu, dans la sueur et les larmes, se voit gratifié d’un : » « Dîtes, vous n’avez pas vraiment pris ce jeu au sérieux, hein ? »
Parce que Takeshi lui ne prend rien au sérieux. Mais l’histoire ne s’arrête pas à la fin des années 80, car la complexité de ce jeu est restée pour certains un mystère. Nominé comme un des meilleurs jeux (ou au moins un des plus fous) sortis sur la Famicom, il est surtout l’objet d’un documentaire par un Game Center japonais.
Le but est simple : les joueurs professionnels vont finir ce jeu, quoi qu’il arrive. Le résultat est en plusieurs épisodes à mourir de rire : on y voit des joueurs devenir complètement fous devant l’anarchisme, l’irrévérence et la difficulté de ce jeu.
Finalement, c’est cet absolu manque de respect pour l’univers du jeu vidéo qui fait que le pire jeu devient un des plus mémorables. Il semble d’ailleurs que ce jeu vienne d’être traduit en anglais … mais qu’on n’y comprenne toujours rien !