Du bon usage de l’insulte.
Il ne suffit pas d’injurier, mais de le faire avec conscience et précision, et dans un certain contexte, afin que l’injure porte. N’insulte pas qui veut…
D’où un livre : Injuriez-vous ! Un titre encourageant.
L’auteur, Julienne Flory, philosophe, sociologue etc ..se donne du mal pour nous expliquer avec sérieux les « Nique ta mère !» et autres « mange tes morts ! » Contexte, destination et réception.
On apprend que « salope » vient de sale huppe : un oiseau réputé sale !
Mais surtout que l’injure est un énoncé performatif. Et oui, c’est une action délicate, une performance à réussir comme en sport.
Les notes de bas de page nous donnent les livres et auteurs importants sur ce sujet délicat, comme Freud, Foucault et Bourdieu, mais aussi des anglais, très pointus sur ce sujet qui fâche, et pas mal d’universitaires.
Mais c’est la performance qui me plait : il faut que l’insulte transforme la situation et le ressenti ! Pas facile .. Et plus encore, on apprend que c’est un « acte locutoire », le fait d’énoncer ! OK pour ce nom bizarre.
Là ou ça se corse, c’est que, dans le cas qui nous préoccupe, l’insulte se range dans la catégorie « acte perlocutoire » ! C’est à dire visant à l’EFFET que cet énoncé produit, ou devrait produire…C’est déjà plus que le simple énoncé locutoire de la plupart des pauvres baveux…
Ce n’est plus seulement un énoncé locutoire, mais une torpille… L’effet transformerai donc l’insulte en une sorte d’action. C’est vrai que l’injure peut provoquer un froid, une bagarre, une rupture etc..
Mais le plus beau reste l’« acte illocutoire », ou le simple fait de dire, d’énoncer, devient instantanément un acte réalisé ! Réservé à très peu de privilégiés : le maire « je vous déclare mari et femme « ! Et c’est fait .
Le juge « je vous condamne à.., » Le prince « je vous fait chevalier » etc..
C’est le rêve de tous les magiciens : transformer les gens en grenouilles ou potirons, simplement en le disant.
Et le voilà le fond du problème : en disant « tu es un con ! » notre but et que cela soit noté, enregistré et acquis : untel EST un con. Notre insulte doit estampillé la personne une fois pour toutes. Il est « devenu » con.
Il y a donc de la mégalomanie dans l’injure. Une prise de pouvoir, une tyrannie par la volonté de nommer, de juger. C’est beau l’ambition.
Mais ça ne marche pas à tous les coups.
Si vous traitez un anglais de chien, c’est raté, les british aiment les chiens. Il faut le traiter de rat ! Ce livre vous aidera à éviter les bides.
Voilà comment l’insulte mène à la connaissance.
Bande d’ignares !
Injuriez-vous ! Du bon usage de l’insulte. Editions La Découverte ;
Les empêcheurs de penser en rond. 140 pages . 13 Euros