Tres impressionnante séance de montagne russe, The strangers confirme que le cinéma Sud-coréen n’a peur de rien. Sauf peut-être du Diable
Bien malin qui pourra faire enter The strangers dans une case. Il y a bien un moyen de résumer simplement le troisième film de Na Hong Jin, en un synopsis ( dans une petite ville de province, un flic enquête sur un mystérieux virus qui transforme les habitants en tueurs fous), mais ca restera réducteur quand à l’effet du film.
Par quel biais approcher un film aussi fou, qui compile, entre autre, comédie, film d’horreur, drame familial, zombie, gamine possédée et double exorcisme par des chamans survoltés ? Comment exprimer le grand huit de sensations par lequel passe cet opus majeur, capable de faire flipper et d’être creve-cœur à quelques secondes d’intervalle mais avec la même puissance ?
Peut-être en allant directement à sa source : ce cinéma sud-coréen qui produit à tour des bras des blockbusters totalement décomplexés, émancipés des codes narratifs hollywoodiens. Sans délaisser pour autant d’immenses qualités techniques, de jeu ou d’écriture.
On savait depuis les brillants The chaser et The murderer que Na Hong Jin était de la tremps des grands cinéastes asiatiques. The Strangers le fait grimper sur le même podium que Park-Chan Wook (Oldboy), Bong-Joon Ho (Memories of murder) ou Kim Jee-Woon (J’ai rencontré le diable). Ce autant par la maestria formelle que par au moins un thème central en commun.
Ca tient peut-être à de la psychanalyse collective, mais il s’est forcément passé quelque chose chez ces réalisateurs là pour qu’ils aient tous signé un film qui part à la recherche des racines du mal absolu, s’interrogent sur sa contamination de l’humanité.
Car oui, derrière la forêt de registres et de ton que défriche The strangers, c’est bien de ça qu’il s’agit : qu’est ce que le Mal ? Un mythe ? Un placebo religieux ? Ou bel et bien l’œuvre cruelle et sardonique du Diable ?
Na Hong Jin prend la question du religieux autant que William Friedkin le fit avec L’exorciste. Si The strangers est aussi fou, c’est parce qu’il croit à ce qu’il raconte, reste, même dans ses ahurissants moments de déconne, au premier degré. Jusqu’à s’ouvrir sur une citation de l’Evangile selon Saint-Luc : « Mais il leur dit: Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi pareilles pensées s’élèvent-elles dans vos coeurs? Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi; touchez-moi et voyez: un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai.”
The strangers a la chair et les os du cinéma le plus pur : celui qui rend tout crédible, tout possible même quand il est excessif, sans aucun compromis. Mais son prêche n’est pas celui que l’on croit. La religion de Na Hong Jin, plus encore que dans The chaser et The Murderer, déjà passablement barrés, est le chaos.
Le vrai virus de ce film est celui qui a traversé l’écran, s’est emparé des spectateurs : ce qui paraît être un sérieux bordel quand on passe d’une engueulade en famille à une attaque de zombies, est en fait d’une totale logique : The strangers n’a de cesse de dire que désormais dans ce monde, rien n’est prévisible, tout n’est plus que secousses telluriques successives.
Jong-Gu, ce flic un peu cossard qui essaie de rassembler les morceaux du puzzle, n’en est que plus attachant. Et ce film plus terrifiant quand son désarroi face à son étrange enquête vire au désespoir.
Allez savoir pourquoi, ce film coréen a récupéré ce titre « français » un peu absurde. Il semble que celui original signifie Le son des pleurs. C’est beaucoup plus poétique et bien plus proche de la nature profonde de The strangers. Surtout dans sa secouante conclusion en guise de morale tragique prévenant qu’il vaut mieux ne pas croire que le diable existe, car sinon il pourrait finir par vous voir.
En salles le 6 jullet