Minot, je rêvais à des avions de toutes les couleurs, des sortes d’oiseaux flamboyants, et colorés. Je les empruntais au cœur de ma nuit dans des rêves magnifiques.
A l’époque, je ne savais pas comment on faisait voler ces lourdes carlingues et leurs chargements humains, excédents de bagages compris. Dans mes souvenirs, ils ne faisaient pas de bruit et circulaient au grès des courants d’air. Il y en avait des petits, des tout petits et des énormes, on les reconnaissait à leurs couleurs. « Le 747 bleu en direction de Tanger décollera à 15:24, embarquement immédiat porte jaune. Le Cesna arc-en-ciel à destination de Rome décollera lui à 16:18, embarquement dans dix minutes porte lie de vin. Les avions caca d’oie étaient réservés aux vols militaires. C’est à ça qu’on les reconnaissait les militaires, à la couleur caca d’oie, caca d’oie de ces oies qu’on a gavé toute l’année pour qu’aux fêtes, elles nous fassent de jolis foies bien gras et de jolis cacas bien puants. Mais revenons à nos avions qui, de jour, donnaient des airs de feux d’artifice permanents au ciel. Oh le beau bleu, oh le beau mauve. Dans mes rêves, minot, tous les jours ressemblaient au 14 juillet sans l’allocution du Président et la garden-party à l’Élysée, je n’étais déjà pas très protocolaire, juste nez en l’air !
Ça, c’était quand j’étais minot. Et puis comme nous tous ou presque, à l’exception du Petit Gregory, j’ai grandi. J’ai appris à classer les avions non plus par leur couleur, mais par le logo de la compagnie et la qualité de service qu’elle proposait. Je suis même passé au low-cost pour voyager plus, pour aller voir au loin ce que d’autres venaient apprécier en bas de chez moi. J’ai pris des avions pour partir en vacances, et d’autres pour aller bosser, pour couvrir un festival à Pointe Noire, participer au 30ème anniversaire de Nova depuis Vancouver, ou mixer à Pékin ou sur l’Ile de la Réunion. J’aimais ça, je l’avoue. J’aimais et j’aime encore être jet-laggé, vivre à quelques fuseaux horaires de mes pompes. Mais un pangolin, un jour, a mis le Bronx dans tout ça. Fini les voyages de presse ou de décompresse, finies les oreilles qui se bouchent au décollage et à l’atterrissage. Je suis resté cloué au sol, et comme la grande roue du monde ne supporte pas l’arrêt, les gouvernements du monde entier dont le nôtre ont cherché à verdir le trafic aérien… un peu comme dans mes rêves de minots, mais d’une seule couleur, comme un Klein d’œil au bleu du ciel mais en vert. Même Jean-Baptiste Djebarri, notre Ministre Délégué aux Transports a tenté de troquer l’encre noire de son stylo pour une verte tout en s’apprêtant à signer des extensions d’aéroports, une dizaine sont en attente dans le parapheur du gouvernement, en n’intervenant pas assez sur les vols courts, ou en refusant de s’engager durablement sur le ferroviaire. C’est ça que lui ont rappelé une poignée de militants de Greenpeace la semaine dernière en peignant de de vert la carlingue d’un Boeing 777 d’Air France sur le tarmac de l’aéroport Charles de Gaulle. Ils en ont profité pour installer une banderole sur laquelle on pouvait lire : « Y a-t-il un pilote pour sauver le climat ?». Minot, je rêvais d’avions de toutes les couleurs, je ne rêvais pas d’avion sans pilote !