La compagnie de jeux vidéo japonaise publie une madeleine de Proust sous la forme d’une compilation de 108 morceaux.
À l’occasion de leur 60 ans, la compagnie de jeux vidéo japonaises SEGA, les créateurs du hérisson bleu qui court vite Sonic, a publié GO SEGA – 60th ANNIVERSARY Album, une compilation qui retrace son histoire à travers les bandes-son de ses jeux.
Aujourd’hui, loin des mastodontes Sony, Microsoft et Nintendo, Sega est pourtant l’une des compagnies qui a le plus innové dans l’industrie du jeu vidéo. Profitant d’une amélioration de moyens techniques (les puces sonores Yamaha YM) permettant d’inclure des séquences musicales plus sophistiquées dans les jeux, ils seront les premiers à adapter une mélodie préexistante dans un jeu, avec Carnival (1980). En l’occurrence, c’est la valse carnavalesque “Sobre las Olas” écrite par le compositeur mexicain Juventino Rosas à la fin du XIXe siècle, que l’on entend.
En dix ans, la qualité de leurs outils de productions et de stockage de musique fait un bond, ce qui leur permet de faire appel à des compositeurs, qui vont insuffler une identité propre à la bande son de chaque jeu abordé.
Pour ce faire, ils vont en partie émuler les genres de musique en vogue à l’époque, donnant dans le même temps un aspect moderne, voire futuriste à leurs jeux tout en répondant aux besoins de stimulation constante dont les jeux avaient besoin pour rester captivants.
Un excellent exemple est la bande son de Streets of Rage (1991), un jeu ou l’on doit avancer de gauche vers la droite en affrontant des vagues d’ennemis. La B.O, composée par Yūzō Koshiro, est largement inspirée par la house et la techno qui faisaient vibrer Detroit depuis une décennie. Il est d’ailleurs le premier à utiliser ce type de rythmes “club” dans un jeu.
Bientôt une nouvelle révolution technique arrive dans le monde du jeu vidéo : le Compact Disc. SEGA négocie relativement mal ce virage, là où les développeurs occidentaux voient dans le CD un moyen d’enfin apporter de l’acoustique dans leurs univers, SEGA reste (dans la grande majorité) sur des compositions strictement électroniques.
Il y a quelques très bons rendus, mais la société n’est plus vraiment en phase avec la direction que prend l’industrie dans sa globalité… et cela se ressent dans les ventes : la SEGA CD, censée faire sortir l’entreprise de l’ère de la cartouche, est un échec commercial.
Pourtant en quinze ans de productions (de 1980 à 1995), SEGA a créé suffisamment de mélodies mémorables pour marquer toute une génération de futurs artistes. Cela s’entend dans certains textes, à l’image du rappeur londonien Wiley, qui mentionne sa première console SEGA dans “Crash Bandicoot Fresstyle” (autour de 1 minute 50), mais aussi dans les productions il n’y a qu’à écouter “Chemical Planet” du producteur de grime D.O.K, qui sample des éléments de la musique de Sonic 2.
Certains apprécient tellement le grain si particulier des bandes son de jeux vidéo de cette époque qu’ils les simulent grâce à des synthés ou des logiciels informatiques et composent en respectant ces tonalités. On appelle ça le “Chiptune” (“Chip” vient de puce électronique et tune de mélodie) et depuis des années morceaux originaux et reprises inondent les plateformes de musique sur internet. Tenez pour la curiosité, ici “Blue Monday” de New Order, comme on l’entendait dans une console de jeu SEGA.
Puis, il y a ceux qui ont grandi avec ces jeux et composent de la musique par nostalgie. Tout naturellement, ils s’inspirent des sons qui les ont bercés étant petits pour créer de nouvelles choses tout en gardant bien en tête d’où leurs viennent ces inspirations. Pour tous ces mordus de modulations ludiques, et ceux qui sont curieux de les découvrir, la compilation GO SEGA est disponible ici.