Du coup on cherche celui qui prévoyait la défaite de Sarkozy.
Alors que l’électorat de Donald Trump se nourrit de théories du complot et autres fausses news, ses opposants s’appuient désormais sur des prophéties. Suite à l’élection du milliardaire, Lisa Kerr, une chercheuse canadienne, a tweeté un extrait d’un livre de Richard Rorty, Achieving Our Country, publié en 1998 et particulièrement à-propos.
Dans ce livre, le philosophe américain, figure majeure du courant philosophique appelé “pragmatisme”, se posait notamment la question de savoir ce qu’il était advenu du patriotisme américain.
Ce qu’il nomme “patriotisme” est une notion de progrès, de réalisation d’un idéal, qui selon lui disparaît au profit d’un “chauvinisme militariste et obtus”. Ce patriotisme perdu demande de ses citoyens qu’ils agissent, et qu’ils ne restent pas uniquement spectateurs. Pour Rorty, il conditionne la survie de la gauche. C’est alors qu’il écrit un paragraphe prémonitoire qui a rendu fou Twitter et vidé les stocks des librairies en une dizaine de jours.
En 1998, Rorty écrit à propos de l’électorat américain:
“Les syndicats et les travailleurs peu qualifiés se rendront bientôt compte que leur gouvernement n’essaie même pas d’empêcher l’effondrement des salaires, ni la délocalisation des emplois. À peu près simultanément, ils se rendront compte que les travailleurs en col blanc (…) n’ont pas l’intention de se laisser taxer pour fournir des aides sociales à qui que ce soit.
À ce moment là, quelque chose va se briser. L’électorat non-issu des banlieues [riches, ndlr] va décider que le système a échoué. Il va commencer à chercher un leader digne de son vote – quelqu’un qui pourra lui assurer qu’une fois élu, il fera en sorte que le pouvoir n’appartienne plus aux bureaucrates suffisants, ni aux avocats retors, ni aux traders surpayés, ni aux professeurs post-modernistes.
Il est fort probable que les droits acquis ces quarante dernières années par les afro-américains et les homosexuels seront anéantis. Le mépris pour les femmes va revenir à la mode. La colère des citoyens mal éduqués envers des diplômés qui leur dictent leurs actes trouvera un exutoire.”
Il y a dix-huit ans, Rochard Rorty était parvenu à décrire parfaitement celui qui dirigera bientôt le pays. Une copie carbone de Trump, de ses travers, de son opportunisme, mais surtout une analyse rigoureuse de son électorat.
“Qu’avons-nous tous manqué ?”
L’élection de Trump a laissé bon nombre de politologues, journalistes et instituts de sondage dans la surprise la plus totale. Elle a entraîné une remise en question de certains médias comme le New York Times. Le journaliste Jim Rutenberg remarquait le 9 novembre dans les colonnes du quotidien que la technologie appliquée au journalisme n’était pas parvenue à le sauver d’être “encore une fois à la traîne, derrière l’histoire, derrière le reste du pays”.
“Qu’avons-nous tous manqué ?” se demandait également le journaliste Anderson Cooper sur CNN au lendemain des résultats. Un questionnement qui s’intensifie lorsqu’on pense qu’un philosophe décédé il y a dix ans est parvenu à mieux cerner l’opinion publique actuelle que la plupart des observateurs sur le terrain.