On a trouvé les champions des pro-life.
Donald Trump n’a pas encore pris ses fonction et certains États américains font déjà du zèle. Le Texas, traditionnellement (très) conservateur, a déjà trouvé un nouveau moyen d’attaquer le droit à l’avortement et la dignité des femmes qui y recourent.
Lundi 28 novembre, une loi a été votée par l’État, interdisant aux centres de soins qui le pratiquent de se débarrasser des foetus comme des autres résidus médicaux. Ces résidus sont habituellement placés dans des fosses sanitaires. À partir du 19 décembre, les foetus devront être enterrés ou incinérés selon un processus similaire à celui qui suit un décès. Si la loi ne demande pas une cérémonie en elle-même, elle distingue désormais les foetus des autres résidus médicaux, et les humanise par la même occasion. Les organes et autre tissus extraits d’un corps lors d’une opération ne sont pas concernés par ce texte.
(Twitter @AbirGhattas)
Le Texas a donc trouvé un moyen de faire d’une pierre deux coups. Le texte handicape financièrement les structures médicales qui devront prendre en charge la crémation ou l’enterrement des foetus. Tout en culpabilisant les femmes en assimilant l’avortement à la mort. Elles ne font pourtant qu’exercer un droit qui leur est garanti par la loi, obtenu dans les années 1970 suite à de longues batailles judiciaires, telles que l’affaire Roe versus Wade en 1973.
Ruse juridique
Les Texans ont découvert en juillet dernier que le gouverneur Greg Abbott poussait ce projet dans le plus grand des calmes, jusqu’à ce qu’il soit publié, le 1er juillet dernier. La Commission Santé à l’origine du texte a déclaré que cette loi “renforcerait la bonne santé et la sécurité du public”. En toute hypocrisie, elle joue de la notion de danger associée à l’avortement dans l’imaginaire collectif par la droite américaine. Mais cette “commission de santé” omet de mentionner que le danger se situe plutôt dans les 5 000 à 10 000 décès annuels liés aux avortements clandestins avant la légalisation du processus dans le pays.
Pour rappel, Greg Abbott était déjà responsable d’une autre loi qui aurait pu interdire à une majorité de médecins de pratiquer l’avortement au Texas si la Cour Suprême n’était pas intervenue en juin dernier.
Pour ce nouvel accès d’intolérance, il a donc privilégié un nouveau mode législatif. Le texte a été publié pour être commenté par les citoyens pendant 30 jours. Ce processus a pour avantage d’éviter le vote. Après 30 jours de commentaires, l’administration peut choisir d’implémenter la loi, en général sans encombres. Malgré la colère des associations et du corps médical texan, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Le Texas vient d’annoncer que le texte entrerait en vigueur à la mi-décembre. Une espèce de 49.3 qui tente de sauver les apparences démocratiques, en quelque sorte.
Colère des associations et du corps médical
Our statement regarding new rules requiring burial or cremation of fetal remains for Texas healthcare providers – https://t.co/4HkP467Usg pic.twitter.com/JvmnrNBGab
— Whole Woman’s Health (@WholeWomans) 1 décembre 2016
Comme le relatait le Dallas Morning News, après une longue mobilisation, les défenseurs du droit à l’avortement, menés par NARAL Pro-Choice Texas, ont fait une dernière tentative fin octobre pour contrer la proposition de loi et se sont rassemblés devant le Département de santé, à Austin. Ils y ont déposé une pétition contre le texte comptabilisant plus de 5 500 signatures. En vain.
Les médecins interviewés par les médias locaux, se disent clairvoyants sur la volonté des législateurs. Pour eux, les infrastructures de santé seraient considérablement handicapées par les coûts liés à la crémation ou à l’enterrement. Ils considèrent cela comme une forme de punition pour avoir choisi de procéder à des avortements. “Ces nouvelles règles visent les médecins qui pratiquent l’avortement et les hôpitaux qui prennent soin de leurs patients” déclarait Blake Rocap, juriste pour l’association NARAL Pro-Choice Texas au Dallas Morning News. Certains groupes comme le Center for Reproductive Rights ont déjà annoncé qu’ils traîneraient législateurs devant la justice.
Trump vs avortement
Depuis l’élection de Donald Trump, les Américaines savent que leur droit à l’avortement est sur la sellette. Certaines l’ont même désiré, puisque 42% des votantes ont plébiscité le milliardaire. Le président-élu ne se cache plus de vouloir revenir sur cette législation. Pendant sa campagne, il s’était déclaré “pro-life” (contre l’avortement), et avait tenté de masquer ses positions les plus extrêmes sans réellement y parvenir. On se souvient notamment de cette interview sur MSNBC où, face à un journaliste particulièrement agressif quant à ses promesses de campagne, il avait fini par déclarer qu’il “devrait exister une forme de punition” pour les femmes ayant recours à l’opération.
Ses communicants avaient tenté de rattraper le coup et s’étaient empressés de préciser que la punition en question devrait viser le médecin et non la femme, “victime” de cette situation. Mais la position du candidat était marquée. Symptomatique, d’ailleurs, de son opportunisme, puisqu’il se déclarait “pro-choice” (pro-avortement) quelques années auparavant. Symptomatique, aussi, s’il fallait encore le préciser, du manque de respect monumental dont il fait preuve vis-à-vis des femmes.
Protéger les structures médicales
Profitant de ses derniers mois à la Maison-Blanche avant d’être délogé par la tornade Trump, Barack Obama s’est donné pour mission de protéger le Planning Familial. Largement menacée par l’administration Trump qui se dessine, l’institution craint pour ses financements qui proviennent majoritairement de l’État fédéral. Obama vient de proposer un texte qui garantirait de manière permanent ces subventions au Planning, qu’on ne pourrait lui retirer qu’en cas de manquement à ses missions.
Des missions difficiles à mener. L’organisation est diabolisée par les Républicains et les institutions religieuses, alors qu’elle est souvent la seule à mener bataille pour sensibiliser et soutenir les femmes, notamment dans les villes les plus reculées des États-Unis. La diabolisation et la culpabilisation sont les nouveaux chevaux de bataille des pro-life, qui ont bien compris qu’il fallait être plus malin que de demander une interdiction pure et simple de l’IVG. Par des biais législatifs, ils tentent donc de jouer sur les ressorts psychologiques des femmes concernées (à lire, l’excellent papier de The Nation sur le sujet). Les Républicains savent extrêmement bien qu’en touchant les structures de soin ou au Planning familial, ils provoquent un effet similaire à l’interdiction législatif de l’avortement.
Comme le notait NPR en juin dernier, de plus en plus de femmes et de jeunes filles ont recours à un avortement médicamenteux, avec des pilules qu’elles vont chercher de l’autre côté de la frontière mexicaine. Des avortements sans aucun cadre médical.
Un droit mondialement menacé
L’Indiana, l’Arkansas et la Géorgie ont déjà adopté des législations similaires. En tout, 28 États ont tenté de légiférer sur cette problématique. Et le phénomène n’est pas uniquement américain. Alors que les Polonaises viennent de réussir à sauver le peu de droits qu’elles ont acquis (l’avortement en cas de viol, d’inceste ou de danger mortel pour la mère) que l’Église, proche du pouvoir, avait tenté de leur arracher.
En France, on se souvent de Marion Maréchal-Le Pen attaquant le planning familial lors des élections régionales de 2015, et menaçant de lui retirer les subventions. François Fillon, candidat des Républicains, maintient une position particulièrement ambivalente sur l’IVG.
Et en matière de culpabilisation, les associations françaises anti-IVG ne manquent pas non plus de créativité. Hier, jeudi 1er décembre, il a fallu voter un texte pour étendre le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse à tous les moyens, notamment numériques. Ce texte vise les sites comme ivg.net, qui reproduisent l’esthétique d’un site gouvernemental, se présentent comme une hotline d’information, mais incitent les femmes à ne pas avorter. Au bout du fil, généralement, une dame vous explique qu’en avortant, vous finirez alcoolique et dépressive. À voir absolument, la chronique de Guillaume Meurice sur le sujet.
La maxime selon laquelle les droits des femmes sont parmi les premiers à être niés en cas de crise politique et sociale se vérifie malheureusement ces derniers temps. À travers le monde, on tente de réaffirmer son identité grâce au conservatisme. Et le retour en force de la religion ne fait rien pour apaiser le débat. Une nouvelle génération de féministes se retrouve à scander des slogans qui appartenaient à leurs aînées, appelant l’État et ses législateurs majoritairement masculins, soixantenaires et bedonnants, à s’occuper de ce qui les regarde.
Projet de loi visant à interdire l’avortement en Pologne : tout est dit en une photohttps://t.co/lxUb378yEi pic.twitter.com/sOCGsH8Lqc
— Brain Magazine (@brainmagazine) 5 octobre 2016
Visuel : (c) DR