L’oeuvre noire de Franquin ressort chez Fluide Glacial.
Alors qu’en 1977, je m’échinais avec mes camarades du groupe Bazooka à changer le look de la bande dessinée, mais aussi des journaux, des typos et même des scénarios, un vieux maitre du genre, André Franquin, lui aussi franchissait un cap graphique !
C’est à cette date fatidique du mouvement punk, alors que ladite BD pour adulte était totalement essoufflée que par Actuel, Libé et même l’Echo, se faisait jour des possibilités graphiques nouvelles, entre pop et constructivisme, dont Bulletin Périodique était le fer de lance de Bazooka productions.
Même Jean-Pierre Dionnet y alla de son coup de main à Métal, et les grognards de Hara Kiri nous invitèrent aussi sur quelques pages…
« Idées Noires » : le revers sombre de Gaston
Mais au cœur de la tradition belge, chez Tintin et Spirou (Éditions Casterman et Dupuis) ça ne bougeait pas beaucoup. Tintin était déjà « graphique 1940 », et Edgar P. Jacobs avait figé Blake et Mortimer dans une élégance classique immuable, sans âge. Les clins d’œil de Joost Swarte, ou Evermeulen, ou Floch, les avait laissé froids.
Et ce fut Franquin, – le maître de Spirou et Fantasio, du Marsupilami, de Gaston (et accessoirement de l’Elaoin Sdretu !), qui avait déjà évolué vers un dessin nerveux, sur stylisé, celui que l’on disait si sensible, fragile et inspiré, – qui allait pousser un peu plus loin ses délires de formes.
Le trait énervé, entre barbelés et mouches écrasées !
Publié dans un petit fanzine pirate inséré dans le Journal de Spirou, le « trombone Illustré » (comme tolérées en coulisse, sans programme ni avenir), ces Idées Noires sont l’aboutissement d’un trait ultra-nerveux, comme griffé sur la page. Entre des barbelés et des mouches écrasées !
Cela ressemblait à des insectes, à des gribouillages ultra-précis et délicats, aussi fins que des coléoptères (Odilon Redon avait fait des araignées et autres êtres bizarres dans le même genre !), des BD et des illustrations expressionnistes, violentes et cruelles, des petits cauchemars imaginés par le gentil Franquin.
Et curieusement, ça tombait pile dans le No Future du punk, des Damned et autres Stranglers ! Mais évidemment, façon potache, caricatures et compagnie… Marcel Gotlib, touché par la grâce – même noirâtre – du maitre Franquin, donna une suite à cette série charbonneuse et pétrolifère dans Fluide Glacial.
Et ça ressort chez Fluide, en revue hommage avec d’autres dessinateurs, et en album.
Franquin pouvait donc avoir un côté Goya !!! Mais la presse BD (et éditions) n’ont jamais été portées sur les excès graphiques, ni sur la radicalité graphique.
Franquin. Il était une fois Idées Noires. Version Kiosque. 100 pages. 7 euros
Version librairie. 120 pages. 20 euros. Les 2 chez Fluide Glacial.
Visuels : (c) DR