L’histoire racontée aux Éditions Camion Blanc.
De même qu’il existe des « artistes pour artistes » en peinture, il y eut aussi des groupes pop dont les fans étaient des musiciens eux-mêmes à cause du niveau et des références de ces formations haut de gamme…
Trop spéciaux pour le grand public ?
Il en fut ainsi pour les Small Faces, les Pretty Things…et voici un des rares groupes californiens à avoir surfé aussi haut que ceux de la British Invasion : le groupe LOVE, d’Arthur Lee. Cette lacune fut comblée au cours des décennies suivants leur apogée des sixties, soit de 1970 au début des années 2000.
L’éditeur Camion Blanc vient de sortir une sorte de bio de LOVE par Didier Delinotte, grand connaisseur des sixties (Kinks, Pretty Things, Procol Harum…) Près de 200 pages racontant les errances, provocs, coups de mépris ou d’arnaques, de celui qui fut un modèle adulé par ses frères ennemis, Johnny Echols et Bryan McLean, accompagnateurs de l’ange noir.
Pour Lee et Echols, ça commence à Memphis, là où ils naissent (vers 1945), puis continue à L.A., South Central, quartier basané à l’époque et peuplé d’artistes, genre Ornette Coleman (inventeur entre autres du free jazz !)
Amateurs de jazz (!), les deux compères vont vite devenir les plus branchés du strip de L.A., passant de groupe en groupe (d’abord style Bar-kays ou Booker…), puis blues folk (Grassroots), puis dans le sillage des Fabulous Four, les Beatles.
Ils sont déjà des guitaristes fameux, capables de jouer beaucoup de styles, à l’aise dans les mélanges que les groupes US vont pratiquer avec talent.
À force d’essais, de formations, de concerts et de shows, ils finissent par s’appeler LOVE (à cause d’un magasin de soutiens-gorge, comme les NY Dolls plus tard avec un magasin de poupées, des titres trouvés au coin de la rue…
Bryan McLean est embauché suite à ses relations avec Taj Mahal, puis les Byrds. Fin 1965, les Grassroots commencent à être programmées dans les clubs et Lee et Echols sont connus comme les « Psychedelic Blackmen » ! (et comme Sly plus tard ils seront des hommes de couleur avec public blanc).
Arthur Lee : d’emblée, une star
Arthur Lee est grand, impressionnant, et invente le style hippy branché, avec des bottes lacées, des chemises imprimées, pantalon de peau, ceinturon et lunettes en losange ! Tout le monde le croisera, de Little Richard à Jimi Hendrix et tant d’autres. Il est une star d’emblée.
Les morceaux virtuoses, ballades et rock garage, à l’anglaise, avec envolées flamenco, voix angélique et une capacité aux « breaks », aux martèlements, un rock finalement ample, large, lyrique, énervé et riche (je ne vois que les Seeds à être aussi modernes et à part).
Le groupe LOVE et sa bande s’installent dans un château baroque à San Feliz Ranch, où Maurice Tourneur a filmé du cinéma fantastique, et où Cecil B.de Mille et Howard Hugues ont vécu ! On ne parle plus que d’eux…
Lee, l’avant Morrisson
Arthur Lee est tellement « IN », que Jim Morrisson encore inconnu, va l’imiter en tout. Même look, même chien labrador, même voiture, et bientôt même nana (Pamela Courson, toujours au côté de Morrisson à sa mort à Paris en 74).
C’est dans le même label, Elektra, que les Doors s’envoleront, et que les LOVE se crasheront ! Arthur Lee est vite considéré comme un génie surdoué, mais en prime, il est paranoïaque, mégalo, agressif, puriste, écrase ses potes en composition musicale, et gère tout, monopolisant argent et signature.
Pourtant, le monde musical l’admire, le terrible Bill Graham lui ouvre les portes du Fillmore (east et west, salle mythiques), Neil Young tentera de les produire, des Anglais comme Jimmy Page, Eric Clapton, Robert Plant, l’adorent…
Et le groupe, au milieu de disputes et de consommation de drogues, allant de l’herbe au Peyotl, pour finir en Coke, va quand même sortir deux albums mythiques, au firmament du pop-rock : Forever Changes et Da Capo.
Le succès sous tension
Encore un déménagement dans un grand lieu sur Laurel Canyon ou Roger Corman a tourné The Trip, film sur l’acide avec Jack Nicholson, Peter Fonda, Dennis Hopper (1967) acteurs sur-branchés, qui décolleront avec Easy Rider un peu plus tard.
Comme si tout ce que faisait Arthur Lee le rendait plus connu, recherché et mystérieux, mais aussi capricieux. Il n’accepte de jouer que tout près, en Californie, et rend fous managers et tourneurs, attachés de presse et label !
Drogues, disputes, méfiances, violences et débuts de port d’armes, sont la marque de la tension qui régnait dans ces années 60 aux US : manifs et politiques, hippies et flics, désordres et conflits raciaux. Même le grand boulevard de Los Angeles, Le « Strip » ou de multiples clubs remplissent le quartier de hippies et zonards divers pour concerts, shows et deals, sera évacué par une police sur les dents (émeutes de Watts, Sunset Strip…)
Et les succès chaotiques de LOVE, se déroulent dans une atmosphère tendue : défilés de musiciens, de labels, de producteurs, au milieu des crises de Lee éternel angoissé, bipolaire, sabotant tournées et enregistrements, mais souvent sauvé par des coups de génie et des états de grâce inespérés.
Car il fait varier son groupe avec habileté, selon les modes : si le style psychédélique les a portés haut, Lee et ses magiciens feront aussi des incursions du côté de Janis Joplin, Sly (and the family Stone), Hendrix, mais aussi de ceux possédant des accents R&B à la Joe Tex, Wilson Pickett, puis des riffs à la Cream ou des envolées comme Earth Wind and Fire, lui qui a aussi fait du blues BB King, ou John Lee Hooker…
Cette palette de possibilités continue d’étonner, et de garder LOVE comme un secret magique, un phénix renaissant, auréolé de malédictions diverses.
Dans les années 80 et 90 et 2000, ce ne sera que come-back, retours en grâce puis rechutes. Arthur Lee se grille avec tout le monde et fera même plus de cinq ans de prison pour accumulation de problèmes d’armes et de drogues. La valse de musiciens, managers et label n’y fera rien.
Arthur Lee fait son dernier bras d’honneur en 2006. Son album For Ever Changes est plusieurs fois proposé comme le meilleur album rock jamais sorti. Mais ce créateur unique avait choisi le côté sombre d’une période explosive et encore mystérieuse aujourd’hui…
Arthur Lee et LOVE. Da Capo. Par Didier Delinotte, 200 pages, 28 euros, Édition Camion Blanc, 2017, avec bibliographie et discographie complète
Visuel : (c) DR