Du côté d’Angers, le généreux chanteur et « poète-à-chapeau » de cette caravane de fieffés bourlingueurs-funambules cherche le « perfect timing du mouvement de nos existences » à l’écoute des dernières splendeurs du pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim.
« Tout est si minuscule. Ce vieux piano bancal qui parle d’océan. Et le reste, il s’en moque. » La voix grave pose en quelques mots un décor de « rafiots rouillés », soutenue par des chœurs angéliques. Plus tard, « un matelot naufragé construit une voile de plumes. Tout est majestueux. » Sur Transe de papier, seizième album des nomades angevins de Lo’Jo paru en décembre sur le label Yotanka, une chanson peut tout à fait « flâner dans le jardin », en sentant « le lys et le jasmin », tout en« prenant le pouls des solitudes, car… », dit Denis Péan,« … je suis l’incertain qui dérobe le parfum au deuil de quelques roses ». Ces tendres vers seront repris à la fin du disque, en français s’il lui plaît, par l’immense ami anglais Robert Wyatt, tandis que le batteur légendaire de l’afro-beat, le regretté Nigérian Tony Allen, secoue ses fûts sur deux titres qui compteront parmi ses ultimes enregistrements.
Oh, mais qui est Lo’Jo ? Depuis trente ans et selon leurs propres termes : « Un grand souk acoustique qui proposerait au chaland esbaudi arômes de guinguette et effluves tziganes, valse apache et bamboche rasta, blues berbère et swing africain, rock et danse du ventre, groove et vaudou. Un sacré Bazar Savant avec henné et barbe à papa, muezzins et camelots ». « Une caravane de fieffés bourlingueurs-funambules-globe-trotters » dont le « charme aventureux » reposerait sur « ces violons aux coups de reins voluptueux, ces cascades de kora agile, ces chœurs féminins virevoltants et ces percussions acrobatiques, arômes polyrythmiques, petites fleurs pentatoniques ». Sans oublier, donc, les textes d’un chanteur et « poète-à-chapeau », le père Péan, « mélange de sabir guttural et de poésie à la Desnos, entre fables de griots et aphorismes humanistes, mêlant français, espagnol, arabe, créole ou anglais » ; un lecteur sûr, bluffé pour toujours par la prose d’Henri Michaux ou plus récemment par le « néo-langage » du roman S.-F. Les Furtifs d’Alain Damasio.
Pour L’Arche de Nova, Denis Péan s’accorde une nouvelle pause à L’hôtel du souvenir, cette chanson méditative où ce tout jeune sexagénaire paraissait « hypnotisé » par sa « vie de bohème ». Il revient sur l’utopie de Lo’Jo, cette maison communautaire des environs d’Angers qui accueillit dix-sept ans durant des artistes des lointains, « havre de paix, quartier général des fantaisies, bouée pour quelques humains en rupture de ban, école quotidienne pour le partage ». Puis s’interroge avec sagesse sur le « perfect timing du mouvement de nos existences » à l’écoute des dernières splendeurs du pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim, en solo sur Dream Time (2019). Avant de laisser un ami musicien, Scott Taylor, chanter « l’oubli » et le passage de « trois anges » en s’accompagnant au sanza. Tout est majestueux.
Réalisation : Mathieu Boudon.
Lo’Jo sera en concert le 18 juin à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), le 9 juillet à Miramas (Bouches-du-Rhône) ou le 28 août à Pézénas (Hérault).
Image : Lo’Jo, tous droits réservés (2017).