Bien des années et du malheur après, des joyaux musicaux somaliens exhumés.
Si le monde entier n’a de cesse de dépeindre la Somalie comme un pays dans un état de souffrance absolue, nos mémoires collectives étant hantées par les images de guerre civile et de famine, elles ont hélas trop souvent supplanté l’incroyable culture qui émane de ce pays.
Aujourd’hui, des frémissements positifs laissent croire à un avenir plus radieux pour la Somalie. Notamment parce qu’une importante mobilisation et des efforts concertés des somaliens et de la diaspora somalienne œuvrent à remettre en avant la lumière qui rayonne de leur culture au-delà de ses heures sombres.
À travers le monde, en se mettant en relation, la diaspora somalienne a utilisé les moyens en sa possession, principalement digitaux, pour mettre en ligne des souvenirs, des témoignages, des archives afin de constituer une mémoire commune, mais aussi des collections d’oeuvres, pour les faire vivre au delà de la mémoire somalienne. Parmi ces souvenirs et ces traces de création, on dénombre quelques archives musicales.
Au revoir, Mogadiscio
En 2015, un uploader Soundcloud, Çaykh, nom sous lequel on retrouve Nicolas Sheikholeslami, met en ligne une mixtape intitulée Au Revoir Mogadishu Vol.1 ensuite reprise et rendue virale par Jakarta Records. Cette compilation de morceaux rares est admirable, et laisse imaginer un monde musical sublime éparpillé et balayé par la guerre civile. Mais ça n’est pas la seule raison pour laquelle il est difficile de découvrir de la musique somalienne, il convient de rappeler que pendant plusieurs années, la Somalie a été dirigée par le Parti révolutionnaire socialiste somali qui, avant la guerre de L’Ogaden, était soutenu par l’URSS.
Dirigée par ce parti unique marxiste-léniniste, la Somalie nationalise l’ensemble de l’industrie musicale. Pendant une période où la scène locale était en pleine ébullition. La quasi totalité des enregistrements sonores était mené par et pour la radio nationale et ces derniers n’étaient diffusés que via des émissions ou en assistant à des concerts.
Les labels privés étaient donc à l’époque, quasi inexistants, Il n’y a en tout cas jamais eu de sorties d’envergure de musique à des fins commerciales avec des copies privées. Il existait quelques copies pirates en nombre très restreint, empêchant par conséquent une exportation en dehors de la Somalie.
C’est suite à ces deux facteurs politiques que la musique somalienne est très peu reconnue au-delà de la région limitrophe.
Le digging impossible
Aujourd’hui, quelque chose a changé, car avec cette première mixtape consacrée à la mémoire musicale de la Somalie, Nicolas Sheikholeslami contracte un virus et une ambition, réparer cette anomalie historique et collecter la mémoire musicale somalienne.
Avec Ostinato Records il part donc arpenter la corne de l’Afrique pendant de longs mois en suivant un rêve un peu fou, celui de mettre la main sur un mirage, une sorte de légende qui ferait que l’héritage de la musique somalienne ait survécu.
Collecter la mémoire musicale somalienne
Il est fait écho à ces mélomanes d’un potentiel stock d’archives de plus de 10 000 cassettes et bandes, préservé par des ingénieurs du son de la radio, des fous passionnés risquant tout pour sauvegarder cet héritage culturel pendant la guerre.
Parce que parfois l’histoire fait les choses de sorte que les journalistes aient un story-telling parfait à dérouler, Nicolas Sheikholeslami et Ostinato Records ont pu être au contact de cette mine d’enregistrements, même si nous ne savons pas encore aujourd’hui dans quelles circonstances.
Ce qu’il découle principalement des écoutes de ces bandes, c’est avant tout l’impossibilité de mettre en place une typologie par genre. Foisonnante et variée, cette musique raconte la diversité, la mixité et la complexité de cette ceinture qui s’étend de Djibouti à Hargeisa jusqu’à Mogadiscio. Pour une raison simple c’est que l’identité culturelle somalienne est bien plus complexe que les regroupements forcés et les frontières artificielles qu’elle dépasse.
Une région et une musicalité foisonnantes
Ce que racontent les musiques somaliennes, ce sont les histoires d’une région qui était la perle de l’Océan Indien, un carrefour commercial et culturel qui se ressent dans les variétés de registres de composition. La proximité de la péninsule arabique mais aussi les interactions avec l’Asie du sud-est et avec l’Inde, notamment quand Zeilah était un port commercial majeur ( où le trafic d’esclaves occupait une place importante) auquel Marco Polo fait référence, et qui fut par la suite une possession, ottomane, égyptienne puis britannique. Cette histoire, ces mélanges se ressentent dans la musique.
Mais le joyau absolu demeure Mogadiscio, dont les échos et les récits fantasmés évoquent une ville multiculturelle d’un hédonisme et d’une vivacité rare pendant les années 70 et 80, des années considérées comme la période dorée de la vie artistique de la ville. À cette époque, les fêtes se répandaient dans la ville, souvent synonymes de scènes musicales et de concerts, dont certains furent enregistrés dans des théâtres.
Aujourd’hui, Nicolas Sheikholeslami et Ostinato records dévoilent quelques-unes de perles rares qu’il ont pu écouter sur place. Avant une sortie sur disque dans le courant de l’année. Ce qui s’écoute ci-dessous ce sont donc des trésors parmi les plus méconnus de la musique moderne.
À l’oreille, presque instantanément, dans la tonalité et la qualité des enregistrements, on ressent le passif et les marques de la guerre, même si la vie qui émane de ces notes transcende le temps.
Ostinato Records entame dès aujourd’hui un grand travail de remastering afin de pouvoir offrir au monde cette musique rare et précieuse dans la meilleure qualité possible.
Visuel : (c) DR