Que vous y débarquiez enveloppé.e de vison dans une Rolls-Royce Silver Ghost ou bien, sans chichi, les mains dans les poches du jean Celio, une avant-première, c’est toujours l’occasion de s’enluminer quelque peu de l’aura du privilégié. Une orbe de distinction miniature, une préséance pousse-col à laquelle Nova Bordeaux et le Cinéma Utopia se proposent de vous élire, ce vendredi 29 octobre, en recourant à un film qui n’aura rien d’un prétexte décoratif ou d’un MacGuffin quelconque. Un indice ? Il a été primé à Deauville comme à la dernière Quinzaine des Réalisateurs du festoche de Cannes.
Premier long-métrage de Vincent Maël Cardona, Les Magnétiques a pour cadre une période souvent fois revue, rêvée, regrettée, revisitée. une année, même : 1980. Le giscardisme se craquelle, le PS encore de gauche veut « changer la vie », mais les idéaux post-68 s’effilochent, le punk et le post-punk sont passés par là ; le sida, la synthpop sur CD, les années fric « chébrans » et néolibérales se dessinent à l’horizon. Un monde FM : France Moderne, François Mitterrand en pixel art et la Frequency Modulation des radios clandestines. Le film part même de ce constat, de cette intention : « Mesurer, dixit le réalisateur, combien la révolution numérique a transformé le monde qui nous a vus naître en une sorte de songe, un monde séparé. »
C’est dans cette époque charnière, proche et lointaine à la fois, qu’on suivra les péripéties d’une fratrie : Philippe (Thimotée Robart), le timide, le romantique, le taiseux, au second plan derrière son frangin, le hâbleur Jérôme (Joseph Olivennes, le fils de Kristin Scott-Thomas), jamais à bout de souffle ni de bagout au micro d’une antenne pirate, Radio Warsaw, qui doit son nom à Bowie comme à Joy Division (dont il s’agissait du premier alias). Pas question de passer du Sardou sur la bande, vous l’aurez deviné.
Pétris d’exaltation et désillusion, les rôles et les repères des deux frères vont se brouiller à l’approche d’une échéance alors indéboulonnable, glas de l’adolescence : le service militaire. Ici, direction le Quartier Napoléon, la base française de Berlin-Ouest. Mais avant d’enfiler l’habit kaki du troufion aux ordres, de l’appelé bidasse au ayant échoué à se faire réformer P4, Philippe tombe amoureux. De Marianne (Marie Colomb). La meuf de son frère. So long, Marianne ? Ce sera plus vivant, plus subtil, plus complexe que ça.
D’autant que ce triangle amoureux façon Jules et Jim se double d’un autre triangle, reliant les frangins à leur père, garagiste. Il y a, dit Vincent Maël Cardona, « trois hommes, trois époques. Le bon fils, le mauvais fils et le patriarche. Jérôme est encore attaché au monde d’hier, à ses promesses ; il partira avec lui. Philippe est déjà du côté des Jeunes Gens Modernes. » Années chaudes, années froides : Nova, née à cette époque-là et qui a fait de cette bipolarité climatique son mantra fondamental, en sait quelque chose.
Mêlant les genres filmiques sans complexe et avec une inventivité toujours au rendez-vous – et très prometteuse, vu qu’il s’agit d’un premier long -, sachant débusquer les chausses-trappes, esquiver les figures imposées, Les Magnétiques – inspiré par Pialat et les Chroniques Frénétiques de Patrick Bénard – a donc bien des atouts pour nous plaire : un tourbillon chaotique sentimentalement, emporté musicalement, soigné visuellement, pertinent générationnellement.
Comme on vous l’a dit plus haut, on vous offre la découverte de ce film. En Rolls ou les mains dans les poches : chacun.e a sa chance pour obtenir son strapontin, égalité totale. Et ÇA SE PASSE JUSTE ICI.