La guerre des classiques et des modernes.
L’exposition proposée par le musée d’Art Moderne est une sorte de règlement de comptes, un demi-siècle plus tard…Les trois maitres : André Derain, Balthus, Giacometti, restent assez mystérieux ou mal connus, et pour cause.
Pour vous la faire courte, Derain est le pivot de cette expo. Il fut, avec Matisse, l’inventeur du fauvisme, de la couleur éclatante, d’où le nom de fauves. Leurs paysages du midi sont des feux d’artifices. Ça se passe entre 1905 et 1910.
L’Art est à son apogée et les mouvements révolutionnaires se multiplient. Expressionnisme, Cubisme, Dadaïsme, Surréalisme, Futurisme…
Derain est un peintre surdoué, mais compliqué (un peu comme Picabia), il touche à tout, et réagit à toutes ces écoles modernes en les rejetant. Il trouve le cubisme inutile et le reste à l’avenant. Il se tourne alors vers les maîtres anciens (voir le livre d’Eugène Fromentin : Les maitres d’autrefois).
À part Cézanne qui reste indépassable, Derain, par ses critiques des modernes, va commencer à se faire des ennemis…D’autant plus qu’il met en pratique son évolution. Fini le fauvisme, le voilà qui va se mettre à travailler avec pour modèles les anciens, les classiques : portraits, nus, arlequins…
Son évolution est considérée comme une régression ! On crie au scandale, à la trahison, surtout d’un grand maitre, chef de file d’une école révolutionnaire.
Heureusement Balthus et Giacometti lui restent fidèles et admirent ce retour au figuratif, et même à ces fonds sombres des anciens. Giacometti lui, va jusqu’à l’Antique : Égypte, Cyclades, Byzance, et même Océanie pour les sculptures.
Balthus lui, soigne ses compositions, la géométrie et la mise en scène de ses toiles avec groupes, décors, fonds ou perspective. Il croit aux lignes, aux angles, à une dimension magique du tableau
C’est Derain qui a présenté l’Art africain à Picasso, et ça a donné entre autres Les demoiselles d’Avignon, toiles avec corps cubistes et masques d’Afrique.
D’ailleurs, Picasso le considère comme un grand maître, qui lui a montré des voies nouvelles, il comprend l’intérêt majeur et moderne (!) des anciens.
La peinture est une ligne sinueuse ou passé et présent s’entremêlent : l’abstrait n’est pas plus moderne que le figuratif, et les conceptuels et les minimalistes d’aujourd’hui ont aussi appauvri l’Art et fermé bien des portes.
Voilà pourquoi ces trois résistants : Derain, Balthus et Giacometti, ces ambigus, plus curieux et profonds que la moyenne sont réunis. Ils n’ont cédé à aucune école moderniste et se sont concentré sur l’éternel miracle des images.
Balthus crée des tons rabattus, faits de couches superposées visibles, pour ressembler aux fresques de Pietro Della Francesca, et retrouver le côté suave et profond des pigments passés, appliqués à l’eau sur des mortiers absorbants.
Secrets perdus, peintres alchimistes, ils sont quand même nombreux ceux qui, malgré les bonds de l’Art moderne, restent à l’écoute de l’histoire, des grandes civilisations, des secrets du Moyen Âge, comme Antonin Artaud.
Derain, en maitre inspiré, se méfie des imitations, des diktats, des interdits, et face à tous ceux qui veulent abolir la peinture sur chevalet, le rejet définitif des classiques, propose la synthèse.
Derain, Balthus, Giacometti. Une amitié artistique. 2 juin-29 Octobre 2017, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Visuels :
– André Derain (1880-1954), Arlequin et Pierrot Huile sur toile, 175 x 175 cm, Collection Jean Walter et Paul Guillaume, Paris, musée de l’Orangerie © RMN-Grand Palais (musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski © ADAGP, Paris 2017
– André Derain (1880-1954), Geneviève à la pomme, vers 1937-38 Huile sur toile, 32 x 73 cm Collection privée © Thomas Hennocque © ADAGP, Paris 2017
– Balthus (1908-2001), La Phalène, 1959-1960 Caséine et tempera sur toile, 162 x 130 cm Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle © Balthus © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Jacques Faujour/Dist. RMN-GP
– Alberto Giacometti (1901-1966), Aïka, 1959 Huile sur toile, 92.0 x 72.8 cm, Fondation Beyeler, Riehen/Basel Photo: Peter Schibli / Beyeler Collection © Succession Alberto Giacometti (Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris & ADAGP, Paris) 2017