On a posé quelques questions à l’un de ses fondateurs, DJ Yirvin.
Il y a quelques semaines, nous vous parlions de ce documentaire, Vamos Pal Matiné, qui raconte l’histoire de l’émergence d’une scène dance underground dans les quartiers pauvres de Caracas dans les années 2000. Elle voit le jour sous un alias : la changa tuki, et ses sous-genres, la raptor house, la street house ou encore la hard fusion. Pour le réalisateur du documentaire, Roberto López, la culture changa est le « miroir parfait de la violence et de l’adrénaline dans les quartiers à l’époque ».
On a posé quelques questions à l’un des fondateurs du mouvement, DJ Yirvin, ainsi qu’à l’un des représentants actuels de la scène, DJ Pacheko, qui a notamment participé à la réalisation du documentaire Who Wants Tuki?
Qu’est-ce que la raptor house ?
DJ Yirvin : La raptor house est un style de musique électronique, né dans les zones urbaines au Venezuela. C’est un son aux bpm rapides (environ 140 bpm). Il a certaines caractéristiques particulières, comme l’usage de synthés house puissants, de rythmes de tribal house, il a des influences électroniques, mais aussi une touche latine qui lui donne de la personnalité.
DJ Pacheko : Elle s’inspire du Merengue – dans son usage des toms, du charleston, des shakers – mais aussi du reggaeton et de la soca. On retrouve beaucoup d’influences des labels comme Underground Construction et Dance Mania.
DJ Yirvin : La raptor house tire originellement son nom d’un crew de DJs et de producteurs qui travaillaient ensemble sous le nom de Miniteca (ou Mobile Sound System) Dj Crew. Ses membres originaux étaient Dj Baba, Yoiser, Dj Deep, Dj Yirvin et d’autres. Avec le temps et l’amas de musique en provenance de ce crew, le style s’est construit une identité, et s’est fait appeler raptor house.
La raptor house apparaît sous différents alias, changa tuki et hard fusion notamment, y a-t-il une différence entre ces genres ?
DJ Yirvin : Il s’agit de variations de la changa. La changa, c’est la racine. (« changa » est un mot venezuelien utilisé pour décrire la house et la techno, particulièrement le son du début des années 90). La raptor house est un des sous-genres de la changa. D’autres styles comme la hard fusion sont davantage influencés par la techno, l’électro… mais aussi par la musique latine. Il y a d’autres sous-genres comme la street house (fondée par Dj El Mago), la trance generator, la reflect house et la changa tuki est le mot qui inclue généralement tous ces sous-genres urbains au Venezuela.
Quand est-ce que ce son a vu le jour, dans quel contexte ?
DJ Yirvin : La musique est née au sein de Minitecas, une forme de sound system mobile vénézuélien, imprégné d’une forte tradition depuis les années 70 et 80. Ces soundsystems étaient des discothèques mobiles avec des lumières, et des sons puissants. Ils organisaient des soirées soit à l’intérieur de salles de concerts, de clubs, soit dans les ghettos ou les quartiers.
DJ Pacheko : Aux débuts des années 2000, avec l’arrivée d’ordinateurs et de logiciels bons marchés comme ACID ou Fruit Loops, les bidonvilles avaient la chance de créer leur propre musique et de la diffuser.La changa tuki s’est surtout popularisée dans l’Ouest de Caracas et dans les gros quartiers de l’Est comme Petare. Elle est apparue entre 2004 et 2006 et a connu son pic de popularité entre 2006 et 2007. À l’époque, elle n’avait pas sa place dans les médias mainstream au Venezuela, mais le terme ‘Tuki’ – qui vient à la base de la musique – était utilisé pour décrire un voyou ou un voleur. C’est devenu un terme à la mauvaise réputation.
Quel morceau est le plus représentatif de ce son ?
DJ Yirvin : Je dirais « El Petarazo« , « Pan Con Mortadela » et « Samba a Los Conejos« .
La raptor house intervient dans un genre de soirée surnommées « Matinees », de quoi s’agit-il ?
DJ Yirvin : Les « Matinees » étaient des évènements qui se déroulaient dans la journée, où les adolescents pouvaient venir et danser.
Pourquoi est-ce que ces soirées ne prenaient forme que dans les quartiers ?
DJ Yirvin : Parce que c’est là que la musique est née.
DJ Pacheko : C’est un peu comme pour le baile funk au Brésil ou le kuduro en Angola.
Pourquoi est-ce que ces évènements étaient controversés ?
DJ Pacheko : Des gamins mineurs buvaient à ces fêtes, et la spirale de la violence était incontrôlable.
La changa est également une danse, quelle place prenait-elle dans le mouvement ?
DJ Yirvin : À l’origine, il ne s’agit que de gens qui dansent, mais avec le temps, un dress code et des mouvements ont été créés.
Est-ce que le mouvement a une portée politique ?
DJ Yirvin : Je pense qu’aucun d’entre nous n’a mélangé la musique et la politique. Mais l’un de mes morceaux, « El Petarazo », raconte une histoire vraie qui s’est déroulée à Petare, l’un des plus gros bidonvilles du Venezuela. C’est l’histoire de voisins qui ont brulé le poste de police, mais c’était une sorte de parodie, sans intention politique.
Pourquoi autant de gens se déplaçaient à ces soirées ? Qu’est-ce qu’ils recherchaient ?
DJ Yirvin : Les gens venaient pour s’amuser, pour s’éloigner de leurs problèmes, de leur routine. C’était une manière facile de déstresser.
DJ Pacheko : Pendant des années, les enfants des bidonvilles n’avaient que très peu d’endroits où ils pouvaient danser et se sentir libres. Tout ce qui concerne la culture est traité avec très peu de respect au Venezuela, donc quand ces matinees prenaient place, pendant un moment, les jeunes avaient un endroit où ils pouvaient s’exprimer à travers la danse et la musique.
Est-ce que ces soirées existent toujours ?
DJ Yirvin : Il y a certains évènements, bien que la musique ait évolué, il y a maintenant d’autres genres et d’autres mouvements.
DJ Pacheko : Peu de personnes font encore de la raptor house, mais elle a influencé des personnes dans d’autres lieux dans le monde, comme avec Buraka Som Sistema pendant un moment, mais aussi avec les Français Jess & Crabbe qui ont édité une compilation sur vinyle, Changa Tuki Classics, et aujourd’hui, Arca (le producteur vénéuzelien, NDLR) joue de la changa tuki et de la raptor house dans ses DJ sets.
Visuel : © Capture d’écran Youtube