Toujours rien à cacher ?
À main levée, la nuit dernière. C’est ainsi que les députés ont voté l’article permettant les assignations à résidence hors état d’urgence. Depuis le 25 septembre, l’Assemblée planche sur un projet de loi visant à entériner certaines dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun. Après six prolongations de cet état d’exception depuis le 13-novembre et une remise en question de son efficacité sur le long terme, beaucoup s’accordent à dire qu’il est temps d’en sortir. Le gouvernement y compris, mais pas n’importe comment. La loi en question vise à « renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme », ce qui permettra « une sortie maîtrisée de l’état d’urgence ».
Sous la houlette de Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, les assignations à résidence (sans contrôle judiciaire préalable), les perquisitions administratives et la saisie d’ordinateurs et téléphones (sur simple information du juge des libertés), la fermeture administrative des lieux de culte, la surveillances des communications (et tout un tas d’autres réjouissances détaillées dans un article du Monde) devraient être intégrées à la loi française. Pour faire passer la pilule au léger goût de 1984, les éléments de langage se veulent apaisants. Chez LREM, on vante la « maîtrise », « l’équilibre » du dispositif. Même les perquisitions administratives ont été rebaptisées d’un charmant « visites domiciliaires », à croire qu’on vous offre des fleurs en arrivant.
« Tenter d’éviter à 100% les attentats, c’est adopter un modèle qui est celui de la Corée du Nord. Et pourtant, en Corée du Nord, il y a aussi des attentats. »
Maîtrise ?
On recevait justement ce 27 septembre dans La matinale de Nova (à réécouter en podcast ici), Philippe Hayez, pour son livre Leçons sur le renseignement, co-écrit avec Jean-Claude Cousseran. Pour lui, le débat parlementaire et public est de bonne augure, car « cela veut dire que le renseignement relève désormais de la loi. » En effet, la toute première législation dans le domaine a été celle de 2015. Taxée de « Patriot Act » à la française, elle joue sur la peur d’une violence imprévisible. Philippe Hayez, ancien directeur de la DGSE (2000-2006) est conscient des dérives : « tenter d’éviter à 100% les attentats, c’est adopter un modèle qui est celui de la Corée du Nord. Et pourtant, en Corée du Nord, il y a aussi des attentats ».
Car le terrorisme est bel et bien devenu le premier objectif du renseignement français. « Les services ont dû s’adapter. On est passé d’un service de renseignement au service de l’État, à une activité de service public, vis-à-vis des citoyens. Naturellement, c’est plus visible, et les attentes des citoyens sont plus fortes. On a envie d’être protégé. » Pour Philippe Hayez, « le citoyen doit considérer ces questions. Il a besoin d’être plus protégé, mais aussi d’être en liberté. »
Ou dérives ?
Le point de vue est partagé par l’avocat François Sureau, qui en janvier dernier faisait le tour du web avec une plaidoirie devant le Conseil Constitutionnel, s’insurgeant contre le « délit de consultation de sites terroristes ». Malgré une censure de ce même Conseil Constitutionnel, le texte, qui pénalise une « simple démarche intellectuelle » est entré en vigueur le 1er mars dernier.
« La liberté de penser est consubstantielle à l’existence d’une société démocratique », déclame François Sureau. « C’est ce devoir que l’État méconnaît ici, ruinant sous prétexte de sécurité immédiate, ce mouvement même de la connaissance, qui, à la fin, est le seul susceptible de protéger notre société du péril qui la menace. Ce n’est pas en ôtant du cerveau du citoyen, selon le mot de Tocqueville, le “trouble de penser”, qu’on peut espérer triompher de ceux qui, précisément, veulent qu’on ne pense pas. Cette question est aussi vieille que la démocratie elle-même. »
« J’ai rien à cacher »
Parmi les dispositions du projet de loi, celles touchant aux technologies et à la collecte de données sont les plus décriées. Les libertés individuelles, d’expression, de religion, le droit à la vie privée s’apprêtent à subir un sacré choc. Après les multiples sonnettes d’alarme tirées par des associations, magistrats, avocats, chercheurs, lanceurs d’alerte et autres trublions, l’opinion publique s’éveille lentement.
Le documentaire « Nothing to hide » (« Rien à cacher ») s’attelle à déconstruire la réponse type lorsqu’on parle de surveillance de masse. Il s’inspire de la réflexion d’Edward Snowden : « dire que la vie privée ne vous intéresse pas parce que vous n’avez rien à cacher, c’est comme dire que la liberté d’expression est inutile parce que vous n’avez rien à dire. » Après plusieurs diffusions en Europe, il sera mis en ligne sous une licence Creative Commons le 30 septembre. À vos écrans.
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