Ce matin on fête un album merveilleux, culte, dont la genèse est aussi folle que le résultat : c’est “Fantaisie Militaire“, 10ème album d’Alain Bashung sorti en 1998.
À la fin des années 90, Alain Bashung est un géant blessé et épuisé ; il vient de se séparer de sa femme Cécile, il se sent loin de son enfant, et loin du monde – alors tant qu’à faire – il s’isole. À Meudon, dans une maison de repos, où il prend soin de lui, soigne sa dépression, et souffle tout simplement. Il n’est pas totalement seul, parce que son vieil ami et parolier, Jean Fauque, qui a déjà vu Alain Bashung à terre, est là pour lui rendre visite. Et pour garder allumée la flamme littéraire, linguistique du musicien.
C’est qu’Alain Bashung, même vidé, aime désespérément les mots. Il aime les faire sonner, les surprendre, les détourner et il aime les faire rebondir sur la pensée et la linguistique de son ami Jean Fauque. Ensemble, ils jouent à faire danser les mots – et cela redonne l’envie à notre chanteur de faire ce qu’il fait de mieux : chanter.
Ils se retrouvent à Paris, dans un sombre appartement de Belleville, et ils écrivent à 4 mains et deux cerveaux, des chansons. Bashung, contrairement à ses précédents disques, procède dans le désordre. Il écrit plusieurs morceaux à la fois, passe de l’un à l’autre, d’une pensée à une autre. Il est brillant mais brouillon, et il a besoin d’aide pour ordonner son génie.
Et cette aide va venir de plusieurs endroits, à plusieurs moments. D’abord la maison de disque dépêche une jeune directrice artistique, Anne Lamy, qui va orchestrer ce grand bal, et proposer à des grands musiciens de participer à cette œuvre chorale. Il y a les Valentins, les bidouilleurs – les ingénieurs du son comme les appelait Bashung – Edith Fambuena.
À Paris, dans un studio de Place de Clichy, ils parlent de celles et ceux qui les inspirent. Brigitte Fontaine, Talk Talk. Et Bashung, qui veut être au plus près de son œuvre et de la vie, s’installe dans un hôtel de passe juste en face du studio.
Et il se sent renaître. Ça prend des semaines, mais le temps fait son œuvre. Surtout qu’Alain Bashung sait où il va.
Pour autant, tout est encore trop dense, la cathédrale ressemble à une Sagrada Familia – ceux qui y participent ont du mal à comprendre où ils en sont. Est-ce le début, le milieu, la fin de la création ?
Pour y voir plus clair, ils sont envoyés tous ensemble au studio Miraval, à Aix-en-Provence. En renfort, il y aura le réalisateur Ian Caple – qui ne connaît rien à la musique française – mais reconnaît instantanément la matière extraordinaire qu’il a entre les mains. Et avec d’autres, ils s’y collent. Certes, ils jouent encore au baby foot, regardent Twin Peaks, mais enregistrent aussi. Ils mettent Alain à l’aise, sur une chaise, devant un verre de vin rouge, et ils le font chanter ses sublimes textes, ses merveilles de mélodies, sa poésie qui ouvre des nouvelles dimensions.
La suite, c’est encore d’autres rebondissements, que vous pouvez lire dans de passionnants articles en ligne. Mais c’est surtout le résultat : un chef d’œuvre de disque. Où l’on vibre, où l’on a l’audace de célébrer la vie, la poésie, la parodie. C’est Bashung tout entier qui se joue dans ce disque, et ses musiciens qui ont fait pousser une à une les fleurs du jardin dans lequel il s’épanouit.
Et c’est grâce à cette heureuse troupe, que la musique française a eu le droit à une de ses plus belles chansons. “La nuit je mens“. 24 ans que ce morceau fait des siennes.
Pour aller plus loin, un article de Christophe Conte ou encore, pour les fans de toujours, l’ouvrage Ultime : Alain Bashung par les Editions Nova.