Dans l’Espagne post Franco souffle un vent de révolte. Et il est punk.
Le 30 octobre 1975, le général Franco, à la tête de l’État franquiste qu’il modèle et gouverne depuis 1939 et la fin de la Guerre Civile espagnole, est déclaré mort, mettant un terme à un règne de plus de trente-quatre années. La fin d’un cycle.
En 1977, les premières élections libres sont ainsi organisées, au sein d’une Espagne libérée du totalitarisme franquiste hyper clérical, émancipation politique qui favorisera la croissance de la Movida, ce mouvement culturel, d’abord basé à Madrid, qui contribua à l’émergence de nouveaux acteurs artistiques et culturels au sein d’une Espagne pas encore membre de l’ancienne Communauté Économique Européenne (l’adhésion se fait en 1986), et dont la figure centrale est bien évidemment le réalisateur madrilène Pedro Almodóvar (La loi du désir, Matador Tout sur ma mère…)
Après Franco, la Movida
La Movida, alors, est directement liée à l’émergence, de l’autre côté des Pyrénées et encore plus au nord (au Pays Basque notamment), du mouvement / culture / idéologie / way of life punk, véritable phénomène underground dès l’année 1977, et le retentissement causé par ce concert, célèbre, donné par les Sex Pistols sur la Tamise, le jour du jubilé de la Reine…
En Espagne, comme en France (Marquis de Sade, Taxi Girl, Trisomie 21), le punk, et par extension la new-wave, trouvent un terrain d’expression favorable. Cette new-wave ibérique (Aviador Dro, Radio Futura…), qu’on appellera « Nueva Ola » (l’équivalent de notre Nouvelle Vague), et qui ne sera pas simplement musicale, sera cependant rapidement récupérée par les grandes maisons de disques, toujours à l’affût du bénéfice que peuvent engendrer les tendances, aussi contestataires soient-elles…
La Contra Ola : contre vague
En réaction, et en opposition à cette Nueva Ola désormais dérisoire, une autre scène se démarque, plus ouverte d’esprit. La Contra Ola, portée par une poignée de labels pleins d’audaces (Discos Radioactivos Organizados, Grabaciones Accidentales, Nuevos Medios, Tres Cipreses…), se positionnera ainsi, au début des années 80, en véritable contre-vague, qui, loin du côté réactionnaire qu’implique le plus souvent les contre-révolutions, se fera au contraire plus excessive.
« Pour la première fois, écrit l’universitaire Loïc Diaz Ronda, une génération de musiciens va envisager l’électronique, en Espagne, comme une esthétique et un outil de création à part entière. Cette mouvance va d’abord s’incarner en fraction tecno-pop, selon le terme employé en Espagne, de la Nueva Ola ».
Le tournant 81
L’Espagne du début des années 80, comme l’Angleterre de la fin des années 70 avec le concert des Pistols, connaît alors son moment « punk » décisif. Le 9 mars 1981, lors d’un concert réunissant les groupes El Aviador Duo y sus Obreros Especializados, El Humano Mecano, Los Iniciados, Oviformia Sci et la Therapia Humana, la garde civile intervient. L’événement, organisé au sein de la salle madrilène du Marquee, n’est pas tout à fait officiel. Des membres des groupes et des membres du public sont alors embarqués, végétant quelques heures dans des salles aux odeurs défaillantes et aux matelas peu confortables. L’événement fait sensation, et attire l’attention sur cette scène qui, au sein de l’un des pays qui est encore alors l’un des plus pauvres d’Europe, a encore du mal à se fournir les machines nécessaires à l’élaboration de leur musique. D’autant plus qu’à part Kraftwerk et Yazoo, on ne trouve pas beaucoup de disques du genre, dans le coin.
Certains exécuteront alors une pop empreint de musique électronique, souvent bien froide (Línea Vienesa, Zombies), lorsque pour d’autres « l’électronique ne constitue pas seulement un ensemble de moyens instrumentaux, mais également une philosophie ». C’est le cas des groupes Aviador Dro, TodoTodo, Oviformia Sci. D’autres envisageront la démarche industrielle, comme Esplendor, La Fura des Baus, ou Diseño Corbusier, musicien andalou (il vient de Grenade), qui combine, pour sa part, electronica, musique bruitante, collages sonores
Méconnue, avant-gardiste et courageuse (il en fallait, pour faire de la musique de la sorte dans un pays où la musique électronique est alors quasi-inexistante…), cette scène se trouve aujourd’hui racontée par les Disques Bongo Joe, qui sortent une compilation résumant ce qui se faisait de plus alternatif dans l’Espagne des années 80, piochant dans le plus représentatif (et aussi dans le plus audible…) afin de se souvenir d’une époque largement révolue. Un cours d’histoire donc, underground.
La Contra Ola. Synth wave & post-punk d’Espagne. 1980-86, Les Disques Bongo Joe / L’Autre Distribution
Visuel en Une : (c) OviformiaSCI, 1982