Et nous encouragent à tendre l’oreille.
En ce 14 février, les ondes de Radio Nova sont entièrement dédiées aux migrants. Au micro, ils nous racontent les histoires qu’on entend peu : leurs histoires d’amour et d’amitié, leurs goûts musicaux, leurs recettes de cuisine… La proximité créée par la radio devient vecteur d’humanité et de partage, et se révèle particulièrement adaptée à ces précieuses anecdotes. On ne vous cache pas qu’on est pas les premiers à avoir eu l’idée de faire de la radio avec des migrants. Face à un gouvernement qui s’enlise dans la honte de sa politique migratoire, la société civile répond par de nombreux projets pour remettre de l’humain dans les échanges entre exilés et citoyens français. Le médium radio y prend une place importante. On est allé à la rencontre de bénévoles qui tendent régulièrement le micro à ces populations qu’on entend si peu. Les radios associatives faites par et pour les migrants sont l’occasion de leur offrir un espace de parole et de créativité.
Radio Asfar
« Après un stage chez RFI, je me suis dit : “C’est bête, je suis en train d’apprendre la radio, ils apprennent le français, on est tous en apprentissage. Pourquoi ne pas trouver un moyen de concrétiser nos connaissances ?” ». Fraîchement diplômée, Constance Léon a fait ses armes à l’école de journalisme du Celsa, à Paris. Pendant ses études, elle encourage son université à ouvrir ses locaux aux exilés pour un atelier de conversation en français en partenariat avec l’association Infléchir.
Puis, en janvier 2017, après un apprentissage en radio, elle soumet au groupe l’idée de créer ensemble une émission. La proposition est votée à l’unanimité, l’enthousiasme prenant le pas sur la timidité des jeunes migrants. Komi Goura, un soudanais de 25 ans et membre de Radio Asfar se souvient : « Je savais que je ne parlais pas suffisamment le français pour le faire, mais j’ai quand même dit d’accord. Moi je veux être journaliste, et je savais que ça allait m’aider ». Velléités journalistiques ou non, le petit groupe s’attelle à donner vie à une émission, encadré par une poignée d’élèves journalistes.
« Notre toute première émission était sur les élections. », relate Constance. « On l’a réalisé lors de l’entre-deux tours. Ils ont abordé les sujets qui leur tenaient à coeur, et nous, on les encadrait de manière technique. » Gustavo Martinez Contreras, venu du Mexique, se rend au meeting de Marine Le Pen qu’il assimile automatiquement à l’ombre menaçante de Donald Trump. Aya, réfugiée syrienne, raconte son parcours et sa peur de voir l’extrême droite dénaturer les valeurs françaises.
« J’écrivais ma chronique en anglais et Constance m’aidait à traduire en français», raconte Komi. « Leur niveau de français importe peu », renchérit la jeune journaliste. « Apprendre, le Français, c’est bien, c’est aussi l’un des objectifs. Mais s’ils n’ont pas envie, ou si c’est trop dur, on n’est pas là pour leur faire la morale, ni pour leur dire qu’il faut s’intégrer. »
Faire de la radio avec les migrants, c’est oublier qu’ils en sont
Radio Asfar, finalement, parle assez peu de migrations. Dans la veine du Bla Bla Mix de Radio Canut, diffusé à Lyon depuis septembre 2016, Radio Asfar est avant tout basée sur l’anecdote, le témoignage, selon les envies du collectif d’exilés qui réalisent l’émission. Bien sûr, le sujet sous-tend presque toutes les prises de parole. Mais il est avant tout question de partage culturel et de créativité. Car faire de la radio avec les migrants, c’est aussi oublier qu’ils en sont. « Aya a finalement quitté Radio Asfar, parce qu’elle ne voulait plus être considérée comme migrante », se souvient Constance. « Elle a commencé une licence de droit, elle avait envie d’autre chose. Je la comprends, et c’est d’ailleurs un peu ce qu’on essaie de faire. On n’est pas « radio réfugiés ». Asfar, c’est une conversation, un bon moment qu’on passe ensemble, qui nous permet d’apprendre des choses sur les uns et sur les autres. »
MicroCamp
Un avis partagé par Antoine Lalanne-Desmet : « Je m’en fiche si l’émission n’est pas terrible. Le but premier des ateliers, c’est que les gens passent un moment heureux. » Journaliste également, le jeune homme de 28 ans a créé en novembre 2016 l’association Radio Activité, qui organise des ateliers de radio dans les lycées, les prisons, les théâtres… En mai 2017, il met sur les rails, avec Cloé Chastel, le projet MicroCamp. Ensemble, ils organisent des ateliers radio dans les camps de réfugiés, en France et à travers le monde : en Irak, en Géorgie, à Calais…
La ville du Nord de la France reste l’une des expériences les plus marquantes pour Antoine : « Là-bas, c’était le baptême du feu. Il n’y a vraiment rien, les conditions sont terribles. » À l’été 2017, Antoine et Cloé s’installent dans l’accueil de jour du Secours Catholique, en banlieue de Calais. C’est l’un des seuls endroits où les migrants peuvent trouver un peu de répit et se reposer. « Ils essaient tous les jours de passer en Angleterre, sont constamment coursés par la police, il y avait même des mineurs… Moi à cette époque-là, je faisais pas mal d’ateliers dans un théâtre à Paris, où les gens réservaient pour venir faire de la radio. Là, ils n’avaient qu’une envie, c’était de se reposer un peu. On a dit : “On fait un atelier radio !” et personne n’a bougé. »
Alors Cloé et Antoine baladent leurs micros dans l’accueil de jour, et finissent par dénicher deux candidats. « On a commencé une émission avec eux. Rapidement, l’un a dit qu’il voulait passer tel morceau, l’autre à commencé à parler de tel sujet, d’autres s’approchaient progressivement. Au bout d’un moment, tout l’accueil de jour était autour de la table. » Comme sur Radio Asfar, les émissions créées par MicroCamp offrent la possibilité aux exilés d’aborder des sujets du quotidien « qui peuvent paraître banals, mais dont ils ont rarement l’occasion de parler ».
Dans des conditions extrêmes et un dénuement total, les tensions entre nationalités sont souvent exacerbées et mènent à la violence dans les camps, qu’ils soient légaux ou improvisés, comme à Calais où des rixes éclatent régulièrement. Lors des ateliers, les micros servent aussi à recréer du dialogue. « Au bout d’un moment, il y a même un soudanais qui a interviewé un afghan », s’enthousiasme Antoine Lalanne-Desmet.
Dans le contexte des camps, où les esprits sont à vif, le rôle d’animateur « facilitateur », comme l’appelle Antoine, a une dimension toute particulière. « Pendant les ateliers, je ne suis plus journaliste. Mon rôle est de mettre les gens en condition, mais ce sont eux qui créent la discussion. Je laisse venir les choses. » Récemment, Constance Léon et Antoine Lalanne-Desmet ont organisé ensemble un atelier MicroCamp à Brest. Celui-ci a donné lieu à une conversation entre cinq mineurs isolés, des adolescents qui ont récemment rejoint la France. Un moment rare, une discussion où la parole appartient entièrement aux exilés, et qu’« aucun journaliste n’aurait pu obtenir », selon Antoine.
Les projets du jeune homme sont nombreux. De retour à Calais au début du mois, l‘équipe de MicroCamp a tenté une nouvelle expérience.
Équipés d’un studio mobile, ils ont de nouveau animé un atelier, mais également formé les bénévoles du Secours catholique à la technique. En partant, ils ont laissé le studio sur place. Depuis, de petites émissions sont régulièrement créées par les exilés eux-mêmes. « Ils réfléchissent même à un nom de radio… En fait ils sont en train de créer leur propre émission. »
Prochaine étape, « lever des fonds pour faire fabriquer cinq autres studios mobiles, retourner en Irak et les laisser là-bas. On veut aussi créer une application, parce que c’est comme ça que les gens écoutent la radio aujourd’hui. Surtout en Irak où tout le monde est hyper-connecté. »
Stalingrad Connection
La diffusion, facilitée par internet, est aussi un aspect important pour Stalingrad Connection. Cette radio a été créée par des membres de Radio Debout (la station montée au moment du mouvement Nuit Debout) lors du démantèlement du campement de l’Avenue de Flandres, dans le XIXème arrondissement de Paris, ordonné par François Hollande en novembre 2016. Diffusée sur internet, et tous les lundis de 11h à midi sur les ondes de la radio parisienne Fréquence Paris Plurielle, Stalingrad Connection compile le plus de langues possible, car son but est aussi de donner des infos pratiques pour les exilés.
La chronique de Nour, notamment, qui dure dix minutes au sein de chaque émission, en est un exemple édifiant. Elle est dédiée à informer les exilés, ou, par exemple, à les conseiller sur les démarches administratives. L’Ada, par exemple, l’Allocation pour demandeurs d’asile, dont très peu connaissent l’existence. Des conseils très concrets diffusés en arabe, en anglais, en français et en dari.
Stalingrad Connection fonctionne en collectif, dans une équipe composée de bénévoles et d’exilés. « On ne veut pas parler pour les personnes migrantes. On leur donne l’antenne pour qu’elles puissent faire leur propre émission, comme elles le souhaitent » , nous explique l’un de ses membres. « Cela se fait collectivement, entre exilés et non exilés, on débat, on s’oppose, ça permet de remettre constamment en question les clichés. »
Le but : « casser l’image de victime » et « renverser le mode de discours médiatique. Par exemple, l’un des membres de l’équipe, Hassan, a interviewé lui-même son travailleur social. » Le rendu est bien différent, bien plus riche que ce que peut produire un journaliste. « Au lieu d’avoir quelqu’un qui témoigne de sa traversé de la Libye, ce qui est courant dans les médias, un exilé va plutôt raconter sa galère à Paris. Et ça personne n’en parle. »
Visuels © MicroCamp et Radio Asfar