Après nombre de films tirant à blanc, les dernières cartouches de la compétition réajustent le tir
On le savait, mais on se fait toujours avoir, Thierry Frémaux est facétieux. Chaque année, le délégué général et sélectionneur en chef du festival de Cannes garde sous le coude des cartouches pour la fin de l’édition. Ainsi, alors que la tendance globale du côté de la presse est plutôt morose, pas vraiment emballée par une compétition estimée terne ; depuis jeudi dernier, une salve forte est lancée pour les derniers jours du festival. Ce tous azimuths : vous cherchiez des films qui allaient enfin nourrir des batailles critiques ne pouvant départager laudateurs criant au génie et détracteurs hurlant à la purge ? Stars at noon et Pacifiction les nouveaux films de Claire Denis et d’Albert Serra s’en chargent, avec deux œuvres particulièrement divisives. Elles ont pas mal de choses en commun. À commencer par allier moiteur et fond politique, Denis en plongeant une journaliste américaine dans un Nicaragua infesté de barbouzes et trafic d’influence, Serra en suivant un haut-commissaire français à Tahiti sous menace de reprise des essais nucléaires. Et plus encore les personnalités de leurs cinéastes, ne craignant jamais de contourner les conventions, de poser leurs propres règles narratives. Le catalan se faisant le plus étonnant en parvenant à se rapprocher bien plus que d’habitude d’une trame scénaristique là où la française se fait trop opaque, préférant la sensualité d’une relation entre cette journaliste et un mystérieux businessman à un récit clair. Pour autant, Pacifiction est plus radical que Stars at noon, dans un rythme de film d’aventures ralenties entre stagnation et dialogues visiblement improvisés. Les deux se rejoignant en faisant corps de cinéma autour de corps d’acteurs, Margaret Qualley chez Denis ou Benoit Magimel chez Serra étant les incroyables centrifugeuses de ses deux épopées aussi envoûtantes que raides.
Plus consensuels, Les bonnes étoiles et Close auront été les autres temps forts de ce baroud d’honneur. D’un côté, le second film de Lukas Dhont, après le remarqué Girl, de l’autre celui du vétéran Hirokazu Kore-Eda. Etonnamment, c’est le réalisateur japonais qui sort de sa zone de confort en transposant sa spécialité (des histoires de familles recomposées) en Corée, autour d’un trafic d’enfants. Les bonnes étoiles s’avérant particulièrement aimables voire des plus affectueuses. Dhont, en dépit de l’affirmation d’une mise en scène, tire son récit d’amitié adolescente vers une fracture dans une seconde partie lisse comme son imagerie clean digne d’un spot d’association sur Instagram pour la protection de l’enfance. Dans les deux cas, les salles cannoises ont été en larmes, jusqu’à en faire leurs palmes du cœur, devant ces histoires de culpabilités refoulées, mais il y a de quoi préférer la manière dont Kore-Eda transforme des bons sentiments en très chaleureuse empathie là où Dhont laisse son sens de la distance se faire rattraper par scénario écrit à la truelle. Reste à voir si ces quatre films, malgré tout moins léthargique que les autres en compétition, vont cimenter ou non le chantier du palmarès à venir.