Insoutenable mais toujours aussi nécessaire, LE film sur le fascisme ressort
Il arrive, comme à n’importe quel critique de cinéma, qu’on me demande quel film il faudrait absolument avoir vu dans sa vie. J’ai toujours eu du mal à répondre à cette question. Pas tant parce que la réponse ne peut être que subjective, donc pas forcément satisfaisante, mais surtout parce qu’à mon sens, LE film qui y répond le mieux est à la fois fondamental et le plus perturbant que je connaisse, par son sens du nihilisme le plus absolu. Salo ou les 120 journées de Sodome, puisqu’il s’agit de lui, est clairement l’un des rares cas de film qui fait totalement désespérer de l’humanité. Mais en cela, il remplit totalement l’objectif de Pier Paolo Pasolini : son évocation de la république de Salo, État autoproclamé par Mussolini pendant la seconde guerre mondiale, est l’avertissement le plus probant, le plus efficace contre le fascisme.
Pasolini revisite cette république fantoche en y incorporant un des textes les plus connus du Marquis de Sade. Quatre notables y séquestrent 9 jeunes hommes et 9 jeunes femmes qu’ils vont supplicier en trois étapes reprenant le principe des cercles de l’enfer chers à un autre écrivain, Dante Alighieri. Salo ou les 120 journées de Sodome est d’autant plus un choc que Pasolini avait auparavant célébré dans une Trilogie de la vie, une liberté sexuelle comme de penser sous un jour solaire et allègre. Salo est son absolu inverse, une œuvre d’une totale noirceur, d’une profonde violence physique. Et pourtant indispensable, presque cinquante ans après sa sortie car réapparaissant dans une époque où les démocraties sont fragilisées, mais aussi celle où le mot même de fascisme s’est banalisé, dilué dans des conversations de comptoir comme dans le brouhaha dégueulant de haine ordinaire, de certaines chaines d’info en continu invitant le contexte de Salo dans les salons. Pasolini jouait sans le savoir du même sens de l’excès pour rappeler l’asservissement possible par les élites sociales bourgeoises. Certes dans la vision extrême d’un régime détruisant toute liberté, toute dignité, s’affranchissant des limites jusqu’à être un cas peut-être unique de pornographie morale et visuelle. En 1975, Salo fait scandale, jusqu’à être censuré dans beaucoup de pays, devenant le film qu’on ne devait pas voir justement parce qu’il figurait l’immontrable.
Aujourd’hui, cela reste un des films les plus insoutenables existants, que même sa part de grand-guignol n’atténue pas. Mais c’est justement parce qu’il force à regarder ce que l’on ne veut pas voir ni entendre, que Salo reste fondamental. Pasolini n’aura pas eu le temps d’ouvrir les yeux sur son propre film. Il est mort assassiné quelques jours avant sa sortie. De fait testamentaire, Salo résonne pourtant encore plus fort dans sa part d’avertissement, éminemment cruel mais plus que jamais nécessaire, quand si la république de Salo n’a existé que moins de deux ans, on ne sait pas combien de temps les salauds actuels menaceront les républiques.
Ressorti le 1er juin
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