Après 2 ans d’absence, le festival espagnol de référence fait son retour et nous éblouit.
Deux éditions annulées, c’est énorme dans la vie d’un festival. Surtout quand on tient à rester au plus près des musiques actuelles, à sentir ce qui fait battre leur cœur underground du monde entier autant qu’à programmer ce qui fait danser les foules au plus près de chez soi. Pourtant, le festival barcelonais de référence a surmonté ces deux étés loupés au point de paraître, en ce mois de juin, plus en forme que jamais.
Disons-le d’entrée de jeu : cette édition du Sónar Festival était BRUTAL comme ils disent là-bas.
Brutal au sens énergétique grâce à son public, d’abord : des milliers de festivaliers venus de l’Espagne entière et de toute l’Europe pour en découdre de jour comme de nuit avec des artistes qui eux aussi avaient en leur cœur l’envie de reprendre sévèrement du service.
Le Sónar, ce sont des trentenaires, des familles, des jeunes groupes d’amis, des artistes fêtards, des curieux, bienveillants, accueillants, exubérants. Une foule d’aventuriers capable d’apprécier autant des expérimentations musicales d’avant-garde qu’un set solaire et sucré. Ce qui tombe à merveille, puisque cette année le Sónar a su pratiquer un judicieux grand-écart pour nous rappeler que la musique peut être la chose la plus sérieuse du monde autant qu’une sincère source de divertissement.
Au lendemain de ce weekend fou, les yeux légèrement cernés et le sourire accroché aux joues, Enric Palau, un des fondateurs de ce festival nous le confirme : c’est ainsi que le Sónar conçoit la musique. À ses débuts, il y a presque 30 ans, ce festival se crée pour représenter ce qui fait vibrer la ville, les villes. On ne parle pas d’urbain à l’époque, mais on sent déjà qu’une capitale danse autant sur des musiques électroniques que sur d’autres vibrations, plus souterraines, plus sombres, plus cadencées.
Ce sont les années 90, les événements culturels de cette envergure ne sont pas légion et encore plus rares sont ceux qui arrivent, malgré leur taille, à garder une dimension humaine. Pourtant c’est précisément ce à quoi aspire le Sónar : à charrier des foules mais à accueillir comme à la maison. Les Chemical Brothers par exemple qui dans les années 90, et c’est Enric Palau qui nous raconte, prennent leur van depuis Manchester et descendent jusqu’à Barcelone pour assister au Festival. 30 ans plus tard, les voici de retour, cette fois bien à l’aise sur une des scènes principales, en train de chambouler un public si joyeux d’oublier l’époque sur leurs indatables tubes.
Un public qui, quelques heures auparavant, communiait devant la grand-messe de C.Tangana pour ce qui restera un des concerts les plus émouvants et impressionnants auxquels nous avons assisté dernièrement. Il faut l’imaginer : un hangar magnifiquement vide qui se remplit quand la nuit tombe. Des fans qui se pressent pour espérer toucher du regard leur icône. De longues minutes d’attente. Et enfin… le rideau qui tombe, pour révéler une mise en scène extraordinaire, inspirée du Tiny Desk qui a révélé l’artiste madrilène au monde entier et l’a consacré comme la nouvelle star espagnole de l’année. Les tables sont mises, les convives sont installés, les costumes repassés : la sobremesa peut commencer. Pendant plus d’une heure, C.Tangana et ses proches font chanter à l’unisson une foule conquise. Leurs frissons sont les nôtres, et le concert finit à peine qu’on sait déjà assurément qu’il est un des plus beaux lives que le Sónar ait connu.
Et pourtant, rien que cette année, il y en a eu d’autres des concerts émouvants, des spectacles qui ont été créé sur-mesure parce que le Sónar est justement, pour beaucoup d’artistes, un espace de jeu très spécial. Le spectacle de Maria Arnal et Marcel Bagès, par exemple. Ce duo barcelonais qui sacralise la pop et désacralise en même temps la musique chorale et dévotionnelle. Une chanteuse merveilleusement épanouie et talentueuse, 36 choristes qui l’accompagnent, deux hommes machines, un répertoire qui se confronte à l’histoire catalane et aux traumatismes du passé et le tour est joué. Les larmes coulent et le public du Sónar, qui dansait pourtant quelques instants auparavant sur Pump the Jam, nous prouve que lui non plus n’a pas de chapelle.
Se rendre à cette 29ème édition, c’est aussi parcourir les salles obscures du Sónar Complex pour découvrir des batteurs aussi talentueux que Eli Keszler, c’est se prendre une baffe grâce à Lyra Pramuk, c’est assister au show grandiloquent de Nino de Elche et réaliser qu’il existe un lien évident entre les musiques traditionnelles et les musiques de teuf, c’est rencontrer Vegyn, mage mystique et Aphex Twin en devenir, c’est danser en grand format sur des tubes de Radio Nova : ceux de Pongo, Nu Genea, La Chica, Kiddy Smile, Bonobo, Moderat, Polo & Pan, Sega Bodega, c’est réaliser que ce festival ne ressemble à aucun autre parce qu’il permet aux artistes de créer des performances qui n’existent que grâce à la prise de risque et à l’audace de ceux qui l’organisent.
Finalement, c’est attendre impatiemment et furieusement les 30 ans. Pour entendre les derniers coups de cœur des programmateurs qui passent leur année à écouter, défricher, fouiller internet pour y découvrir des groupes et des artistes méconnus. Pour être ému par des créations audacieuses, du divertissement XXL, des contrastes et des nuances, et se dire qu’aucun autre festival au monde ne ressemble à celui-là.
À l’année prochaine, Sónar.
Retrouvez nos interviews avec Maria Arnal, Vegyn et Nu Genea ici.