Pour son édition 2022, le Sceaux Jazz Festival offrait une programmation dont chaque nom a une vision bien à lui du jazz.
Qu’il soit expérimental, gorgé de rock, d’électro ou de musique classique, le jazz était pluriel au Sceaux Jazz Festival. Organisé par le Théâtre Les Gémeaux, dans le décor idyllique du Domaine départemental de Sceaux, sept formations y partageaient cet esprit, du 30 juin au 3 juillet. Sur scène : une vision singulière du jazz et ses possibilités. “Duke Ellington disait que le jazz est comme un arbre, et que, à chaque printemps, il donne de nouvelles feuilles. C’est une musique en perpétuelle renaissance.”, confie le trompettiste Erik Truffaz. Une citation en accord avec son dernier projet “Lune Rouge”, où il convoque de longues phases progressives, construites par une superposition méticuleuse d’effets électro. Un rendu singulier, qu’il doit au batteur de 28 ans Arthur Hnatek. “C’est un virtuose de la batterie et de l’electro. Grâce à son oreille et son mix sur l’album, on a pu aller vers de nouveaux thèmes, une forme originale.”, évoque Érik Truffaz.
Expérimenter n’est pas nouveau pour l’artiste, lui qui a collaboré avec le père de la musique concrète Pierre Henry (ce dernier a remixé le titre « More » de l’album Revisité de Truffaz en 2001). “Son analyse m’a donné du courage, de la liberté. Celle de moments inimitables sur scène qui échappe à toute mélodie, tout rythme formel” ajoute-t-il. Sur scène, Erik Truffaz happe, capture le réel et convoque une bulle dont on ne souhaite pas sortir.
Grunge rock trap et drill
Sur une scène surplombant le Château de Sceaux, c’est donc une perception bien personnelle du jazz qu’il partageait avec les quelque 700 personnes, venues vivre ce moment. Tout comme les autres groupes à l’affiche. Roberto Fonseca (jazz afro-cubain), INK, Rouge, Mammal Hands, Ornicar et Rover : six noms pour autant de visions du jazz. “C’est une nouvelle identité sonore propre aux Gémeaux, d’aller vers un jazz vivifiant. On veut effectivement se nourrir des différentes appréhensions du genre” atteste Séverine Bouisset, directrice du Théâtre des Gémeaux. Durant quatre jours, ce sont donc des noms connus et des formations émergentes qui se côtoient. Des nouvelles têtes à suivre, comme la formation Ornicar et leur jazz tonique, chargé de rock et de grunge. Finalistes de Jazz à la Défense 2022, le trio Côme Huveline (batterie), Renan Richard (saxophone) et Joachim Machado (guitare) convoque durant une heure leur Maelström, tourbillon de sensations. “Ce qui nous intéressait, c’est d’avoir de multiples influences. Dans cet album-là ; il y a plusieurs énergies avec du grunge, du rock, de la trap ou de la drill.” confie le saxophoniste.
Un mélange qui fonctionne, et nous fait passer de légèretés dignes de Limousine, à la tonicité des morceaux de Nirvana, si cher au groupe. “Avant de jouer ensemble, on ne savait pas que chacun adorait de groupe. C’est ce qui a motivé le projet Ornicar, le rock et le grunge dans toutes ses formes, surtout Nirvana !” partagent-ils avec ferveur.
Un autre espace temps
Le lendemain, c’est au tour du groupe strasbourgeois INK de partager ses références, avec une reprise ingénieuse du fameux “Angel” de Massive Attack. “Le morceau a beau être simple, mais avec deux notes, on crée une tension inouïe. C’est ce qui amène à la recherche de trance et de danse interne qu’on essaye de reproduire” confie Victor Gachet, batteur du groupe. Avec ses acolytes Edouard Sero – Guillaume (basse), Léonard Kretz (saxophone) et Sébastien Valle (piano), ils jouaient leur album Continuum, sorti début juin. Un disque dans lequel ils convoquent “un autre espace temps”, empli d’envolées éparses. “On conçoit le groupe comme un genre de laboratoire, avec ses évolutions, ses résultats non définitifs” ajoute le batteur.
Passion aussi du groupe pour le cinéma, qui se retranscrit sur une pochette qui convoque 2001 L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubric (1968). “J’en suis fan. On essaye justement de convoquer un maximum des images à chaque show” conclut Victor Gachet.
De cinéma, il était aussi question avec le groupe Rouge, qui proposait un jazz électro acoustique progressif et planant. En plein concert, la pianiste Madeleine Cazenave rappelle l’importance du film Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki. “C’est un univers onirique qu’on essaye d’appliquer à nos musiques” évoque-t-elle. Avec leur dernier projet Derrière les paupières, le groupe invite à fermer ses yeux, prendre le temps de s’imprégner d’un jazz graduel, électro-acoustique. “Je ne viens pas du jazz au départ, mais de la musique classique. Je pense qu’on essaye de garder toute cette appartenance, tout en convoquant des images pour les auditeurs”, ajoute la pianiste.
Avec le contrebassiste Sylvain Didou, et le batteur Boris Louvet, ils partageaient le même soir la scène avec le groupe anglais Mammal Hands.
Dans la même lancée que leurs compatriotes de GoGo Penguin et Portico Quartet (les trois formations sont sur le même label Gondwana Records), le trio fait sensation en clôture du festival. Ils jouaient leur dernier album Captured Spirits, parenthèse sémillante à la fois précise et improvisée. “On a testé beaucoup de choses sur cet album. Il a été conçu grâce à des influences du spiritual jazz, mais on voulait laisser plus de place à l’improvisation” évoquent-ils. Le groupe ne se reconnait toutefois pas dans cette catégorie du spiritual où l’on cherche à les inscrire. Ils préfèrent parler “d’expérimentation”, “d’esprit collectif” sans lequel rien ne serait possible. “Il faut oublier le jazz et les mots qui lui sont associés. La musique est notre seul monde, n’importe qui peut faire du son, chanter, convoquer quelque chose. On ne peut faire de novelles choses, mais il suffit d’oublier le temps” ajoutent-ils. Un temps suspendu durant ce Sceaux Jazz Festival, qui “ne manquera pas” de convoquer de nouvelles visions du jazz l’année prochaine