La chronique de Jean Rouzaud.
Les Éditions du Montparnasse ressortent un drôle de film de 1974 : La Bonzesse de François Jouffa, rock critic touche-à-tout, scénariste et écrivain, dont ce fut le premier essai cinéma. L’histoire d’une fille libérée qui, d’échangisme en libertinage, se prostitue pour être libre, et finira en Inde puis à Ceylan, crâne rasé et sari, devenue une sorte de bonze bouddhiste !
Interdit pendant un an sous Pompidou, malgré des coupes, cette comédie érotique douce amère ressemble aujourd’hui à un ovni. La critique sociale est là : sexe et argent, les maisons closes façon Belle de jour pour amatrices, les libertins vicieux, les filles réacs et les clients machos ou ridicules, et le parcours fantasmé d’une époque.
Dérive seventies
Car c’était un peu comme ça , la libération sexuelle. Dans More de Barbet Schoeder, c’est l’inverse : l’héroïne plane à Ibiza, puis finit par se prostituer pour payer sa dope…Là, elle se donne pour avoir l’argent pour faire la route.
Beaucoup de metteurs en scène voulait aborder le sexe et la spiritualité comme Les chemins de Katmandou d’André Cayatte, le Buñuel avec Catherine Deneuve cité plus haut (Belle de jour), départ donné en 1969 (année érotique ?) avec plusieurs films, et ça allait durer toutes les années 70.
Je pense à Sex Shop de Claude Berry, Maitresse de Barbet Shroeder, Exhibition (avec Claudine Beccarie), Dernier Tango à Paris de Bertolucci…et des dizaines d’essais, jusqu’aux films X.
La Bonzesse est évidemment incorrect, le sexe maladroit et triste, les filles désabusées et les mecs minables, mais on retrouve bien cette atmosphère libidineuse et même salace qui planait au coin de la rue.
Sex shops, sexe shows, livres, journaux, photos et posters, étaient la garniture de ces pensées de frustrés. À Actuel on titrait « Le retour du refoulé », ou « La grande misère du sexe », histoire de rigoler un peu sur ces errances du désir, et même un numéro spécial sexe avec parodie d’Emmanuelle. J’ai moi-même fait – par nécessité – des illustrations dans un magazine plus qu’érotique…Du porno inavoué ! Le sexe « cheap » était une mine en ce temps-là, passant de la fausse bourgeoise en dessous noirs, à la hippie ingénue, mini frangée en faux daim et bandana à fleurs.
Un vrai air du temps
François Jouffa affirme n’avoir inventé aucune situation ni dialogues de ce film. Tout y est rapporté, ce qui donne un vrai air du temps, assez inimaginable aujourd’hui, et qui a soufflé fort sur la France, toujours teinté de restes d’esprit grivois, paillard, n’arrivant jamais vraiment à se hisser jusqu’à une quelconque magie.
La fin du film, tourné à Delhi puis Ceylan (devant le Bouddha couché) boucle l’histoire de manière abrupte, presque surréaliste : comment passe-t-on du sexe tarifé à la méditation ?
Dans cette période chamboulée, on pouvait encore changer de vie, de comportement, d’orientation (même sexuelle), avec une facilité déconcertante. J’y ai assisté. Ambiance schizophrénique garantie.
La Bonzesse (1974) de François Jouffa, DVD couleur, 1h39, distribution Éditions du Montparnasse.
Visuel : (c) Éditions du Montparnasse