Il y a quelques semaines, Véronique Montaigne proposait un Classico prémonitoire, dans Néo Géo.
La semaine passée, le poète et chanteur Jacques Higelin s’en est allé, nous laissant orphelins de l’une des grandes figures du rock français des années 70 et 80. Une disparition qui a laissé place, pour nous, au temps des hommages, comme ce fut le cas grâce à notre duo ami Get A Room, qui proposait un mix revenant sur la carrière de celui que l’on surnommait Crabouif, ou dans Néo Géo. Chez Bintou Simporé, on laissait en effet la parole à Ray Lema (qui faisait paraître avec Higelin un drôle d’album dans les 80’s, Bwana Zoulou Gang), on se rappelait ce jour de janvier 1991, et l’intervention d’Higelin, avec notre ami RKK, dans l’émission Aucun océan ne nous sépare, et on remettait également en avant ce Classico prémonitoire que nous proposait Véronique Mortaigne en décembre dernier, à propos du morceau « Irradié ». Le voici.
En 1974, Jacques Higelin décide de rouler pour lui. Il brise le cadre de ses premiers talents développés avec Brigitte Fontaine et Areski et la bande Saravah au début des années 1960. Il bascule vers le rock, publie l’album coup de poing BBH 75. Avec Irradié, il poursuit sa traduction punk des mondes imaginaires, ce qui aurait fait de lui un acteur de théâtre et qui en a fait un poète de la chanson.
En janvier 1976, paraît Irradié, un album délirant, projeté dans des directions éclatées, selon le sens premier d’irradié. Bien sûr, l’imaginaire social de Jacques Higelin aura été marqué par le mouvement antinucléaire en plein essor durant l’année 1975, avec pour cerise sur le gâteau un attentat contre la centrale de Fessenheim et une manifestation monstre in situ. « Irradié » est un mot qui court alors sur toutes les lèvres, et l’album du même nom est une bombe.
Higelin parle, éructe, casse la notion de mélodie
Le rock chez Higelin est un rock du verbe, il parle, il éructe, il casse la notion de mélodie, à laquelle il reviendra plus tard en affinant sa filiation avec Charles Trenet. Pour Irradié, il fonde un groupe, les Super Gougeats. Aux guitares, un jeunot, qui co-fonde l’année suivante son propre groupe de rock, Téléphone. Louis Bertignac, donc, tricote une rythmique en tapis sur des paroles sauvages, et il le fait avec un style que le franco-kabyle Areski ne renierait pas. Forcément il y a des tams-tams, comme on disait quand il était petit – Higelin qui adorait les performances et le cassage des clichés a eu vingt ans au moment des indépendances africaines, en 1960.
La chanson Irradié n’a jamais quitté Jacques Higelin. Il l’a chantée quasiment à tous ses concerts pendant plus de quarante ans, le public reprenant en chœur malgré les tumultes scéniques « Irradié, je suis le sage, le fou, le débile. Je suis du village l`idiot et j`entends les rumeurs de la ville. ». En 1985, il est à Bercy, le spectacle est démesuré. Il invite ses amis Mory Kanté et Youssou Ndour, qui enchaîne un mblax sur « Irradié », une musique qui se prête à tous les parlé-chanté et aux traitements les plus hirsutes et les plus exotiques. Pour ce qui sera son dernier concert, en 2016 à la Philharmonie de Paris, les assauts sonores sont ainsi donnés par l’Orchestre Philharmonique d’Ile-de- France, et c’est presque de la techno-trance.
« Irradié », symbole du désordre salutaire
1976 est une année d’importance pour le rock n’roll, c’est celle où naissent The Clash, The Cure, et U2. En France, Irradié devient cette année-là le symbole du désordre salutaire, de l’énergie indomptable et du mélange des cultures – rappelons que Jacques Higelin fit par la suite un large écho aux musiciens du monde, notamment en accueillant des futurs stars africaines en première partie de ses spectacles. « Irradié » est sans doute la chanson qui s’est le plus adaptée à Higelin voyageur et caméléon, entre coups de gueule, élans de tendresse, humour ébouriffé, d’un Higelin radieux qui déclame, tord sa voix, théâtral et exalté.
La chronique de Véronique Mortaigne, à retrouver dans le Néo Géo du 3 décembre 2017.
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