Derrière cette question un poil provocante, plusieurs concepts juridiques sont en jeu. Liberté d’expression, injures publiques et surtout, c’est l’occasion de dépoussiérer des dossiers qui ont fait date dans l’histoire commune que partagent la musique et le droit.
Aujourd’hui, je me suis réveillé avec une question en tête, vous allez voir c’est tout bête : Est-ce que l’on peut insulter le président de la république dans une chanson ?
Bon, ça ne vient pas de nulle part. Je trainais un peu sur internet hier et je tombe sur une vidéo du producteur Marc Rebillet sur la scène du festival Touquet Music Beach, qui insulte le président Emmanuel Macron, qui, hasard de calendrier, était présent ce soir-là sur le site (pas lors de la performance, il est arrivé juste après).
En coulisses, on se doute que ça s’agitait. Le son de micro du producteur franco-américain a été coupé, puis rallumé, et depuis le festival et l’artiste sont dans un bras de fer au sujet de son cachet.
Mais la question que je me pose, c’est surtout, et je ne peux pas être plus clair là-dessus : Est-ce que l’on peut insulter le président de la république dans une chanson ?
En fait, pour bien comprendre ce qu’il est possible de dire dans une performance ou non, il faut se pencher sur un genre qu’on trouve souvent sur les sites de juristes: le rap. Oui, les affaires sur la liberté d’expression des rappeurs et rappeuses sont nombreuses et opposent parfois des personnalités publiques ou des élus comme on l’apprend dans le livre Droit(s) et Hip Hop supervisé par le conférencier en droit privé et sciences criminelles Arnaud Montas.
Bouclier juridique
Petit florilège, il y a eu Youssoupha contre Eric Zemmour, La Rumeur contre Nicolas Sarkozy ou encore le Ministère A.M.E.R contre le Ministère de l’Intérieur. Cette dernière est particulièrement intéressante puisqu’elle illustre quelque chose de précis. En fait, le Ministère A.M.E.R (Passi, Stomy Bugsy, DJ Ghetch et sur certains morceaux Doc Gyneco) avait été condamné suite à un morceau, “Sacrifice de poulets” – pas question d’animaux de basse-cour ici, on parle de la police bien entendu. Plus exactement, ils ont été condamnés suite à des propos tenus en interview (dans les pages de Rock & Folk et d’Entrevue) autour du morceau. Et c’est cette différence qui fait tout.
Je m’explique : comme on l’apprend dans l’article d’Emmanuelle Carinos (“Fuck le 17” : Rap français et forces de l’ordre) tant que l’on reste dans le cadre d’une chanson, on peut être couvert par la liberté d’expression, et on peut se défendre en s’appuyant sur des précédents dans la justice. C’est ce que Carinos appelle le “bouclier juridique” du rap. On note d’ailleurs que dans les cas de Youssoupha et de La Rumeur, les propos visés étaient contenus dans une chanson et il n’y avait pas eu de condamnation.
D’autres concepts permettent de défendre le hip-hop, Bettina Ghio parle du fait que le hip-hop est un style de musique codifié, et que la critique des institutions, de l’état et donc de ses représentants fait partie de ses “codes de genre”. C’est un “registre lexical” propre au rap, qui permet de le défendre au tribunal.
Mais quand on est dans une interview, ou entre deux morceaux, dans un live, on est plus dans le cadre d’une œuvre d’art et il faut faire un peu plus attention à ce que l’on dit, car cela pourrait rentrer dans le cadre de l’injure publique, de l’incitation à la haine… C’est ce qui était arrivé à NTM, lors d’un concert où ils insultaient la police aussi entre les morceaux. Ils avaient été attaqués par différents syndicats de police et condamnés.
Dans le cas de Marc Rebillet, on est sur une performance live et ce ne sont pas les paroles d’une de ses chansons habituelles, donc si on suit la logique définie plus haut, il pourrait être attaqué. J’ai quand même appelé un avocat, Maître Tabula, spécialisé dans les questions de droits d’auteurs et très impliqué dans les questions de droits dans le secteur du rap.
« Les répercussions pour les artistes, elles sont quasi nulles »
Maître Tabula
De son côté, rien de nouveau sous le soleil. Il classe cet épisode du côté des tentatives de créer un engouement médiatique autour d’un projet musical (et il est vrai, cet article en est une preuve de plus, que c’est efficace) et précise que ”les répercussions pour les artistes, elles sont quasi nulles. Elles sont plutôt très bénéfiques parce que ça met en lumière leurs morceaux”. Même s’il admet qu’ “(…) en fonction de la gravité et de la sensibilité de la personne qui est visée par l’injure, elle peut, avec son avocat, décider de poursuivre l’artiste pour injure publique, pour propos homophobes (ndlr. Marc Rebillet traite E.Macron “d’enculé”), pour des propos qui portent atteinte à l’honneur, la dignité de la fonction”*.
Il ne se fait pas de soucis pour Marc Rebillet pour autant. Selon lui, très peu de chance que le président prenne le temps d’attaquer en justice, donc très publiquement, un artiste qui l’a insulté sur scène.
Pour ce qui est du bras de fer entre le festival Touquet Music Beach et Marc Rebillet qui sont toujours en désaccord au sujet du cachet lié à la performance, on en saura plus dans les jours qui viennent.
*propos récupérés lors d’un entretien entre l’auteur et Maître Tabula.
Un texte issu de C’est Bola vie, la chronique hebdomadaire (lundi au vendredi, 8h45) de David Bola dans Un Nova jour se lève.
Source – Droit(s) et Hip-Hop, édition Marc et Matin